Il y a peu, on découvrait que la ville de Paris avait élu en 1879 un maire noir d’origine cubaine, Severiano de Heredia (1836-1901), un homme politique oublié par la République lequel serait le cousin des célèbres poètes José María de Heredia y Campuzano (1803-1839) et José-Maria de Heredia (1842-1905). Le film “Chocolat” sorti dans les salles françaises (donc également dans celles de la Caraïbe française) le 3 février dernier, interprété par l’acteur français d’origine malienne Omar Sy et réalisé par Roschdy Zem, a mis en lumière la carrière d’un autre Cubain, le clown Rafael Padilla, un ex-esclave dans le Paris de la Belle Époque.
Né esclave à Cuba entre 1865 et 1868, Rafael aurait porté plusieurs patronymes tels que Leios, Patodos mais c’est Padilla qui est inscrit sur son acte de décés, le nom de la femme de son maître espagnol. Son arrivée en Europe est assez rocambolesque. Après leur évasion d’une plantation cubaine en 1878, ses parents le laissent à une vieille dame à La Havane qui le vend pour une bouchée de pain à la mère d’un négociant de Bilbao. Le petit garçon, devenu garçon d’écurie, prend vraiment conscience de sa différence quand des Basques veulent le laver avec une brosse à cheval pour éclaircir sa peau noire… Il prend à nouveau la fuite et il exerce des petits boulots (porteur de bagages, mineur etc.) afin de survivre.
Chocolat est né
Sa carrière de clown commence avec Tony Grice appelé le “Clown blanc” qui lui donne le surnom de “Chocolat” (à cette époque, c’est un surnom affublé aux Noirs quand ce n’est pas Bamboula) lors de leur brève collaboration au Nouveau Cirque de Paris. En 1888, Rafael est engagé par ce cirque pour interpréter des numéros avec des clowns connus comme Gerónimo Medrano et il finit par avoir son propre spectacle intitulé “La Noce de Chocolat” qui lui apporte la célébrité. À partir de 1895 et pendant vingt ans, il forme un duo comique avec George Foottit, un clown anglais. Dans les différents sketches, celui-ci joue le rôle du clown blanc autoritaire tandis que Rafael Padilla est l’Auguste noir ou le Nègre idiot et souffre-douleur qui reçoit des claques bien qu’il combatte cette l’image négative au cours de sa carrière. À cette période, il rencontre Marie Hecquet (une secrétaire originaire de la Picardie), mère de deux enfants, qui devient sa compagne.
La guérison par le rire
De 1901 à 1905, le duo innove en intégrant des dialogues dans ses spectacles, notamment dans “Deux Bouts de Bois”. Après un passage aux Folies Bergères, les deux clowns reviennent au Nouveau Cirque en 1909 avec “Chocolat Aviateur”, leur succès est intact mais ils se séparent l’année suivante.
Entre-temps, le personnage de “Chocolat” inspire les illustrateurs et peintres du moment tels que Henri Toulouse-Lautrec et Edmond Heuzé. Les marques Félix Potin pour le chocolat ou Michelin pour les pneus et le grand magasin Le Bon Marché font appel à son image pour des supports publicitaires.
Rafael Padilla tente de se convertir en un acteur de théâtre ce qui n’est pas facile car il maîtrise mal le français. Alors pour vivre, il revient au cirque en jouant entre autres dans “Tablette et Chocolat” (1912) aux côtés de son fils adoptif, Eugène et se rend dans les hôpitaux afin d’amuser les enfants malades. Il est le premier clown à lancer la thérapie par le rire.
Un clown oublié
Bien qu’il ait passé sa vie à distraire les autres, il ne trouve malheureusement personne pour atténuer son chagrin après la mort de Suzanne, sa fille adoptive de 19 ans. Le clown Rafael meurt dans la misère et l’alcool, le 4 novembre 1917 à l’âge de 49 ans, alors qu’il est en tournée avec le Cirque Rancy à Bordeaux. Il est enterré au cimetière protestant de la ville dans le carré réservés aux indigents.
Pendant de longues années, celui qui est considéré comme le premier artiste noir célèbre de France a été complètement oublié. À la parution en 2012 d’une biographie de l’historien français Gérard Noiriel, l’histoire de cette star cubaine a refait surface. Depuis lors, des pièces inspirées de sa vie sont jouées dans des théâtres parisiens. Le 20 janvier dernier, une plaque à la mémoire de Rafael Padilla (et George Foottit) a été apposée par la mairie de Paris sur la façade de l’hôtel Mandarin Oriental, l’ancienne adresse du Nouveau Cirque.
Le 6 février dernier, une autre plaque commémorative a été posée sur un mur du cimetière bordelais suite à une souscription lancée par l’association “Les Amis du Clown Chocolat” avec comme marraine l’actrice Firmine Richard, originaire de la Guadeloupe.