Jack Gilles : “Je suis un artiste plasticien libre”

Du 13 novembre au 1er décembre dernier, le plasticien guadeloupéen Jack Gilles a exposé près de 80 oeuvres au Centre Culturel Rémi Nainsouta de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). “Lafrik ka vwè-w”, “Afrik… Kitan Tèt Kolé”, “Naissance de l’Afrique”, “L’Ombre de mes Ancêtres”, “Rufisque” étaient quelques noms évocateurs de tableaux faisant partie de cette riche et belle exposition, intitulée “Terre d’Afrique, Terre Mère… Expressions Libres” qui a attiré le public. Ce travail faisait suite au dernier voyage en Afrique de l’artiste.

KARICULTURE.NET a interviewé Jack Gilles qui a d’abord été architecte et qui, en tant qu’artiste, revendique sa liberté de créer et d’exposer.

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KARICULTURE.NET: L’Afrique vous a inspiré pour réaliser cette exposition mais ce n’était pas la première fois que vous y alliez. Cette fois-ci, qu’est-ce qui vous a tellement inspiré sur le continent africain pour que vous vous précipitiez dans votre atelier pour peindre sur ce thème?

Jack Gilles: En effet, au départ, je voulais rendre hommage au groupe composé entre autres de poètes du “Réseau Poétique Guadeloupe” et de musiciens avec lequel j’étais au Sénégal mais, au fur et à mesure que je travaillais, je me suis rendu compte que je rentrais en Afrique. Ce n’est pas la première fois que je travaille sur l’Afrique. En 2010, je suis allé au Sénégal où j’ai assisté au “Gorée Diaspora Festival” et à un colloque international qui s’intitulait “Les Îles, Lieux de Paix, de Mémoire et de Réconciliation: Ouvrir la porte du Retour”. Mes amis poètes ont déclamé des poèmes sur scène et moi, j’ai dessiné une grosse clé car en me promenant sur la plage, j’avais trouvé une clé. J’ai pensé que c’était un signe, j’ai pleuré… J’ai pensé à mes ancêtres et à leurs souffrances… Comme dit la citation: “Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous”. Cette clé, je l’ai gardée précieusement, elle est fixée sur une toile et, en 2012, j’ai réalisé l’exposition intitulée : “La Clé, Couleur Re-Naissance”.

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KARICULTURE.NET: Avez-vous une relation très intime avec le continent africain? Vous considérez-vous d’abord comme un Guadeloupéen, un Caribéen et ensuite comme un Africain ou est-ce le contraire?

Jack Gilles: Je suis déjà allé quatre fois en Afrique et trois fois sur l’île de Gorée. Je connais maintenant le maire de Gorée… Je me considère d’abord comme un Africain et plus particulièrement comme un Sénégalais. En Afrique et surtout au Sénégal, je me sens chez moi.

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KARICULTURE.NET: Vous n’avez plus besoin d’être accompagné pour vous rendre maintenant en Afrique. Y avez-vous des amis-peintres?

Jack Gilles: Oui, j’ai des amis africains qui sont peintres. En 2010, j’ai rencontré Lamine Sagna, un peintre sénégalais. On a travaillé ensemble pendant deux ans. En 2014, au Bénin, la personne avec qui je devais être en résidence d’artistes était tombée malade alors le directeur de l’hôtel où je séjournais m’a présenté un autre artiste-peintre. En faisant sa connaissance, je lui ai dit qu’il avait un très beau haut alors il l’a enlevé et me l’a offert… J’étais très surpris. Il s’appelle Tchif. Six mois plus tard, il est venu en Guadeloupe car je l’avais invité à exposer lors de mon exposition “F.A.M. Fanm An Mouvman” au Fort Fleur d’Épée; étant le trésorier du groupe “Fanm Ki Ka”, j’ai été inspiré par ces femmes et par les femmes en général, j’ai décidé de leur rendre hommage. Je connais aussi le peintre béninois, Laudamus Sègbo.

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KARICULTURE.NET: Dans cette exposition “Terre d’Afrique, Terre Mère”, il y a des oeuvres en noir et blanc mais il y a surtout beaucoup de couleurs vives, comme le rouge. C’est l’influence, l’inspiration africaine?

Jack Gilles: Je suis un passionné d’art, de la vie… J’utilise des couleurs vives car je veux que les gens soient joyeux, éclairés. Mais, le blanc et le noir sont aussi des couleurs. Je suis un anti-code. Je suis un peintre libre. Les oeuvres sont mi-figuratives, mi-abstraites, cela sort comme cela. C’est aussi pour cela que le sous-titre de l’exposition est “Expressions libres”

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KARICULTURE.NET: Quels matériaux avez-vous utilisé pour cette exposition? Il y a de l’acrylique, de la ficelle… Il y a des oeuvres qui semblent avoir été faites à l’aide d’une peau de cabri comme pour les tambours-ka, est-ce bien cela?

Jack Gilles: Il y a aussi du PVC pour les lampes et certaines toiles, des jantes de vélo, de la résine, de la fibre de sisal… Par contre, il n’y a pas de peau de cabri. C’est une technique particulière que j’emploie. Lors de mes séjours en Afrique, mes amis Tchif et Sagna m’ont appris à préparer une toile avant de peindre, c’est un secret que j’ai promis de ne pas dévoiler. Quand je prépare une toile, c’est déjà une oeuvre d’art, il faut que ce soit beau.

Une fois au Sénégal, je circulais à bord d’une voiture qui est tombée en panne, pendant la réparation, j’ai aperçu une femme qui teignait du tissu. Plus tard, on m’a expliqué cette technique particulière et c’est pourquoi certaines toiles s’appellent “Rufisque”, en l’honneur de cette ville où j’ai découvert cette méthode.

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KARICULTURE.NET: “Terre d’Afrique, Terre Mère – Expressions Libres” compte de nombreuses oeuvres. Vous montrez votre travail très régulièrement au public depuis plus de 30 ans. Cette année par exemple, c’est votre 2e grande exposition. Êtes-vous un peintre prolifique parce que vos “fans” vous réclament? À quel moment pensez-vous avoir le nombre d’oeuvres suffisant quand vous préparez une exposition?

Jack Gilles: Cette exposition compte 72 toiles et 4 totems (lampes) en hommage aux ancêtres. Je suis un artiste plasticien libre, je produis dès que j’en ai envie et cela me fait plaisir. C’est mon épouse qui me dit d’arrêter de peindre pour manger et qui me dit d’arrêter de produire si j’ai un nombre suffisant de toiles pour une exposition. Concernant les expositions, je ne les organise pas à des intervalles précis.

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KARICULTURE.NET: Vous produisez donc beaucoup. Outre la Guadeloupe, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie, la France, la Belgique, le Canada, les États-Unis et le Sénégal font partie des lieux où vous avez montré votre travail. Est-ce facile pour vous de vendre vos oeuvres? Y a-t-il un lien d’affection entre vous et vos oeuvres?

Jack Gilles: Il y a des oeuvres qu’il m’est impossible de vendre, c’est vrai. Avec le temps, j’ai appris à me séparer plus facilement de mes créations. Le docteur Jean-Marie Péan m’avait dit, un jour: “considère tes oeuvres comme tes enfants. Un jour, ils doivent partir”. Cela m’a aidé. L’exposition en Nouvelle-Calédonie, “Couleur Cannelle”, je l’ai faite en 2006 avec mon fils Olivier Gilles qui est poète et slammeur. Elle était itinérante, l’amour était le message qui était délivré.

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KARICULTURE.NET: En 1984, vous avez suivi des cours à l’École d’Arts Plastiques de Saint-Denis en France. Vous peigniez déjà, que vous a apporté cette formation?

Jack Gilles: J’ai commencé à peindre à l’âge de 13 ans. Mon père qui était entrepreneur en bâtiment construisait la nouvelle maison familiale à Dugazon et il m’avait autorisé à peindre sur les murs de ma future chambre; j’avais dessiné la mer, des cocotiers et une plage. Ma première véritable exposition personnelle en Guadeloupe – “Émotions” – était en 2000 à l’OMCS de Sainte-Anne avec Didier Gillet. Avant les années 80, j’avais fait une exposition consacrée au tennis. Ma mère possède toujours une toile que j’avais faite très jeune, elle représente l’Allée Dumanoir à Capesterre Belle-Eau, avec l’arche qui existait toujours, à l’époque.

L’École d’Arts Plastiques m’a enseigné les techniques, le choix des couleurs, le nu etc. Les élèves n’étaient pas nombreux. J’y ai appris beaucoup de choses.

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KARICULTURE.NET: En plus de 30 ans de carrière, avez-vous remarqué une évolution du comportement du public guadeloupéen dans son approche de la peinture, des arts plastiques? Aujourd’hui, ce public vient-il plus facilement visiter une exposition qu’auparavant?

Jack Gilles: C’est une évolution positive, les gens viennent plus facilement voir une exposition, maintenant. Les enfants aussi viennent et posent des questions. Certaines personnes suivent mon travail depuis des années et elles écrivent leurs commentaires dans le “Livre d’Or”.