Les oeuvres de Maryse Condé en créole par M’Bitako

Une vingtaine de personnes sont venues à la médiathèque de Pointe-à-Pitre, le vendredi 12 octobre à 19h00, afin d’assister à la présentation en créole de “La Vie Scélérate”, un des nombreux romans de Maryse Condé. L’organisateur de cette rencontre littéraire était l’écrivain Ogis Berthély plus connu sous le nom de M’Bitako.

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D’abord, Ogis Berthély “M’Bitako” a tenu à préciser que le fait que cette conférence ait lieu le jour où le “Prix Nobel alternatif de Littérature” a été décerné à la célèbre écrivaine est une simple coincidence. “An pa gadèd zafè / Je ne suis pas un voyant. Cette date avait déjà été choisie depuis longtemps avec la mairie de Pointe-à-Pitre (…) J’ai entendu Maryse Condé à la radio, elle a dit qu’elle était contente de recevoir ce prix. An ka respèté sa / je respecte cela. J’attends le Prix Nobel de Littérature 2018”, a déclaré M’Bitako. Puis, l’auteur qui se considère comme un grand amoureux et un fervent défenseur de la langue créole a présenté ses différentes publications dont “Ti-Jan & Dyab-la”, une traduction en créole de “Ti-Jean and his brothers” de Derek Walcott, On Lyannaj Pi Méyè”, une traduction en créole du fameux discours de Barack Obama intitulé “A More Perfect Union” et prononcé le 18 Mars 2008 à Philadelphie,Ti-Jan é Paren a-y”, “Nèg Mawon”, “Jan lavi ka bat kat a-y” etc. Il a aussi appelé d’autres écrivains de la Guadeloupe à écrire en créole leurs propres oeuvres ou à traduire en créole les oeuvres d’écrivains étrangers. Le modérateur de cette soirée littéraire qui s’exprimait aussi en créole était Gabriel Mugerin (enseignant de profession), il a salué le travail entrepris par M’Bitako depuis des années : “Il nous fait prendre conscience de l’importance de la langue créole en Guadeloupe, il nous donne des outils pour l’écrire – métalangage – et nous montre que nous pouvons faire un travail en créole puis le défendre en face de toutes les “grandes” langues”. Césaire est peut-être hermétique, à cause de la façon d’écrire de Condé, nous pouvons faire un voyage avec elle”, a t-il affirmé.

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Une saga familiale de 1890 à 1970

“Sé on travay fondal (…) Chak fwa i ka ékri on liv, i ka baw klé-la pou rantré adan-y / C’est un travail fondamental (…) Chaque fois qu’elle écrit un livre, elle te donne la clé pour y entrer (…) Maryse Condé a écrit de très nombreux livres, il y a des livres pour enfants, pour adultes, des romans, des pièces de théâtre etc.”, a ajouté M’Bitako.

Ensuite, l’écrivain a commencé à raconter le roman intitulé “La Vie Scélérate” publié aux Éditions Seghers en 1987 et pour lequel la lauréate du “Prix Nobel alternatif de Littérature” a obtenu le “Prix de l’Académie Française” en 1988. Les membres de l’auditoire qui n’avaient pas encore lu le livre ou qui ne se souvenaient plus de l’histoire ont alors entendu parler d’Albert, le patriarche, qui quitte l’enfer des champs de canne à sucre en Guadeloupe, prend un bateau pour la Martinique dans le but d’aller creuser le Canal du Panama; là-bas, il assiste à la mort de nombreux ouvriers, il part ensuite à San Francisco pour continuer à travailler. Avec ses économies, il rentre définitivement en Guadeloupe, il possède un magasin et des logements qu’il loue, son seul et unique objectif est de s’enrichir. Jacob qui reprend les affaires de son père sera pire que celui-ci: “misyé la-sa pli mové ki on blan ! / cet homme est pire qu’un Blanc !”, diront les gens. Técla, la fille de Jacob, qui a été élevée comme une reine, part en France hexagonale pour étudier et pendant des années elle n’écrira pas à sa famille, elle collectionnera des amants et aura une fille “Coco” qu’elle placera chez une nourrice pour mener sa vie aux États-Unis, en Jamaïque avec un rasta et ailleurs. C’est cet enfant qui raconte cette saga familiale de 1890 à 1970.

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Un roman riche en péripéties

Tout en résumant l’histoire du livre, M’Bitako a apporté ses explications au public : “C’est l’histoire d’une famille de Guadeloupe qui se rend dans plusieurs lieux. Elle ressemble à l’histoire de beaucoup de Guadeloupéens, elle commence dans un champ de canne (…) Les malheurs des Noirs dans les champs de canne à sucre en Guadeloupe ressemblent à ceux des Noirs dans les champs de coton aux États-Unis (…) Il fallait absolument quitter la canne, alors beaucoup d’Antillais, parmi eux des Guadeloupéens et Martiniquais, sont partis fouiller le Canal du Panama, il y a quelques années leurs descendants sont venus ici retrouver leurs familles. C’est une histoire que l’on avait oubliée, je m’en souvenais car j’avais lu le livre de Maryse Condé (…) Dans ce roman, il y a des voyages et les quatre personnages principaux vont aux États-Unis; il y a le capitalisme pour faire de l’argent même si des gens meurent autour de nous; il y a du racisme car Albert est noir mais il n’aime pas les blancs (…); il y a de la politique car il est question de Marcus Garvey qui a vraiment eu l’occasion de se rendre au Panama, de Malcom X, de Nat Turner, de l’époque du Gouverneur Sorin en Guadeloupe, de communistes, d’indépendantistes (…); il y a de la culture comme nos relations avec nos morts quand nous prenons soin des tombes (…)”.

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L’important, c’est l’amour

Et pour finir, M’Bitako a donné la leçon qui, selon lui, doit être tirée de cette histoire. “Quand je lis Maryse Condé, je suis dans son livre, nos contradictions, nos rêves et nos vices sont à fond dans ce livre (…) Nous faisons beaucoup de choses sans réfléchir et parfois nous savons que quelque chose n’est pas bon mais nous le faisons quand même (…) Maryse Condé ka montré nou adan liv-la kè san lanmou nou pé pa fè ayen, nou bizwen lanmou kon pyé bwa bizwen dlo pou pousé / Maryse Condé nous montre dans ce livre que sans amour nous ne pouvons rien faire, nous avons besoin d’amour comme un arbre a besoin d’eau pour pousser”.

La soirée littéraire s’est poursuivie après 21h00 dans une ambiance conviviale avec les questions et commentaires du public sur le livre et sur son auteure suivis des réponses de l’organisateur de cette conférence-débat. M’Bitako a redit son admiration pour l’écrivaine Maryse Condé : “elle nous appartient, nous devons lire davantage ses livres, c’est l’un des plus grands écrivains dans le monde. Nous ne devons pas attendre qu’une personne soit morte pour lui rendre hommage”.

L’auteur guadeloupéen a aussi précisé que ce “Cycle Maryse Condé” ira jusqu’en octobre 2019 et, progressivement, il annoncera les oeuvres qu’il présentera. Le nouveau rendez-vous est fixé au 26 octobre à Sainte-Anne.