Ducarmel Alcius : “S’ouvrir, c’est avoir aussi la possibilité de se constituer d’autres cultures”

Ducarmel Alcius, jeune écrivain haïtien

Ducarmel Alcius est l’un des douze lauréats du 34e Prix du Jeune Écrivain de Langue Française, ce célèbre concours littéraire réservé aux jeunes de 15 à 27 ans, dont les résultats ont été proclamés en septembre dernier. Cet haïtien de 20 ans qui a grandi à Petit-Goâve a su séduire le jury (qui a reçu pour cette édition 766 manuscrits venus de 47 pays) avec sa nouvelle intitulée “Les Petits Êtres de l’Ombre” qui traite d’un sujet délicat : la prostitution des enfants.

Ce jeune et talentueux écrivain a livré à Kariculture.net ses premières impressions.

 

Kariculture.net : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous faites partie des heureux lauréats du Prix du Jeune Écrivain de Langue Française ?

Ducarmel Alcius : Le Prix du Jeune Écrivain de Langue Francaise pour un Haïtien, c’est un premier pas. J’ai été moi-même surpris. Pour dire vrai, je ne m’y attendais pas. C’est un prestigieux prix pour un jeune écrivain qui s’ouvre à peine. S’ouvrir, c’est avoir aussi la possibilité de se constituer d’autres cultures, d’autres points de vue du monde qui pourraient compléter le sien. Avant, je m’étais enfermé dans un cocon, une matrice, dans le confort de moi-même, sans penser à l’autre. Mais, l’autre est tellement plein de vie… Je dis l’autre, je vois par là tout un ensemble, l’humanité. J’ai fini par comprendre qu’il faut aller vers l’autre pour écrire. Et, ce prix m’a permis cela.

Kariculture.net : Qu’est-ce qui vous a poussé à participer au concours littéraire ?

Ducarmel Alcius : J’avais deux textes en main. Un premier qui m’a coûté beaucoup d’énergie. Et, “Les Petits Êtres de l’Ombre” qui m’est venu comme la mort, comme l’amour, comme un mystère. Ce mystère, c’est peut-être quelque chose de refoulé dans mon insconcient, l’histoire. Et puis, ça me vient à l’esprit d’envoyer le texte au PJE. Le texte est choisi. Maintenant, je suis en phase d’analyse de mon propre texte, je l’avoue.

Kariculture.net : Quel est le sujet de votre nouvelle ? Et pourquoi avez-vous choisi ce thème ?

Ducarmel Alcius : La prostitution juvénile. Petits êtres de l’ombre, prostituées en bas âge qui vivent dans l’ombre, qui louent des chambres dans la zone. Il arrive que la mère de l’enfant loue sa case à un groupe de prostituées. Elle ne passe pas ses nuits avec sa fille. Cette dernière connaît le froid de la nuit aux côtés de son cousin. Là, il y aura inceste. Soualé va avoir une relation sexuelle avec sa cousine qui, elle, est dans un processus de découverte d’elle-même. Après cette découverte d’elle-même, elle va découvrir, après une altercation entre la mère de l’enfant et son neveu tentant de la violer, le monde mensonger. C’est un peu la double découverte.

Je suis, moi aussi, dans une découverte comme l’enfant. Je découvre, très tard, pourquoi j’ai écrit “Les Petits Êtres de l’Ombre”. C’était refoulé dans mon inconscient. Certains paramètres politiques obligent les jeunes à faire des choix qu’ils peuvent maintenir, au péril de leur vie, pour une courte durée. Derrière l’oeuvre, je vois cette intention.

Kariculture.net : Depuis combien de temps écrivez-vous ? L’écriture de nouvelles, est-ce une passion chez vous ?

Ducarmel Alcius : Je suis jeune. Cela dit, cette frénésie pour l’écriture, pour avouer ce qui bouleverse la bile, le bouilli acide qui est sur l’estomac, n’a pas commencé depuis trop longtemps. J’avais commencé avec la poésie. En 2015, j’ai commencé à écrire les nouvelles, lors d’une résidence d’écriture dans la Maison des Écrivains (PEN-HAITI). À l’époque, la maison Georges Anglade (maison des écrivains) était sous la présidence de l’écrivain Jean Euphele Milcé. J’écris des nouvelles pour prendre de l’air. La nouvelle est une fenêtre pour respirer. Je travaille sur un roman. Ça peut arriver qu’un recueil de nouvelles paraisse avant le roman. Parce que c’est un travail de documentations que je fais en même temps que j’écris le roman. Mais, j’aime la nouvelle. Ça ne laisse pas respirer. Mais, le roman est le terrain le plus apte pour raconter avec beaucoup de documentations.

Kariculture.net : Pensez-vous faire de ce passe-temps – l’écriture – votre future profession ?

Ducarmel Alcius : L’écrivain ne vit pas que de livres. Il vit de pain. Est-ce que l’écriture peut me rapporter de quoi vivre si j’ai un foyer à gérer ? En Haïti, c’est difficile. Faire de l’écriture une profession me dit implicement qu’il y a une façon d’être écrivain et que l’écrivain peut être contacté pour traiter tel ou tel problème, intervenir dans telle ou telle situation. La maison est en feu, on appelle un pompier. Il y a altercation, on appelle un juge de paix et il faudra un avocat. Il y a un moment ou l’on est écrivain : pendant l’écriture. Après ce temps, c’est un père qui défend le pain du foyer, qui doit subvenir à ses besoins, qui peut commettre des délits et aller en prison, c’est un jeune homme qui fréquente les bordels.

Kariculture.net : Que faites-vous dans la vie, actuellement ?

Ducarmel Alcius : J’écris. Je viens d’intégrer une structure théâtrale (K-part) avec Jean Marc Édouard, comédien et metteur en scène, et Marie-Maxline Saintil, comédienne. On attend les fruits du travail. C’est difficile de dire qu’on est chômeur. Je n’ai pas ignoré les possibilités de la lecture et de l’écriture pour me démarquer de ce concept. J’essaie de trouver du travail dans les journaux, pourvu que cela ne me dérange pas dans mes projets d’écriture.

Ducarmel Alcius