Gérald Bloncourt : “Je suis un Caribéen convaincu”

Gérald Bloncourt: "Je suis un Caribéen convaincu. D'ailleurs, j'étais pour une union de la Caraïbe. Aujourd’hui, je pense que c'est illusoire"

Interview à Paris : Éric Amiens et Fabian Charles

 

Gérald Bloncourt est né le 4 novembre 1926 à Bainet, en Haïti. En grandissant, il découvre l’injustice et il milite pour tenter de changer le quotidien des Haïtiens. En 1946, Bloncourt a 19 ans et il tente avec un groupuscule de jeunes de mener dans l’île une révolution marxiste, “Les 5 Glorieuses”. Arrêté, il est expulsé d’Haïti et se retrouve en France avec l’aide d’Aimé Césaire (Homme politique et écrivain martiniquais) et de Marius Moutet (Ministre français).

À tout juste 91 ans, le photographe, l’artiste engagé et l’humaniste est infatigable. Avec passion, il donne des conférences et il participe à des expositions. Son objectif : faire connaître ses activités artistiques mais aussi parler de ce pays qui lui a tout donné, Haïti.

Pour KARICULTURE.NET, Gérald Bloncourt a accepté d’accorder aux journalistes, Éric Amiens de la Guadeloupe et Fabian Charles d’Haïti, une très longue interview chez lui à Paris.

Voici la première partie de cette rencontre exceptionnelle.

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Gérald Bloncourt: “Je me considère comme un Créole. Négritude, pourquoi pas? Parce que j’ai aussi dans mes veines du sang africain. Je suis un mélange”

KARICULTURE.NET : Votre père était guadeloupéen, votre mère était française et vous êtes né en Haïti en 1926, c’est atypique à l’époque ?

Gérald Bloncourt : Mon père est venu faire la Guerre 1914-1918 en France, il a rencontré ma mère. Après, il est venu retrouver un de ses oncles installé en Haïti.
Je suis né Haïtien. J’ai reçu tout ce que Haïti a comme richesses.

Je suis ce que les racistes ont défini comme “quarteron”. Mon arrière grand-mère était une noire qui venait d’Afrique, je pense qu’elle était une esclave libérée en Guadeloupe. Nous avons gardé les traditions guadeloupéennes, je continue à faire mon punch, cette tradition que nous avons transmise autour de nous. J’ai encore de la famille en Guadeloupe. Il y a des Bloncourt un peu partout, j’ai aussi un homonyme. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai découvert une quantité de cousins à Porto Rico, aux États-Unis (New York), au Canada. Nous sommes en relation et nous nous rencontrons.

KARICULTURE.NET : Vous vous considérez comme un Caribéen ?

Gérald Bloncourt : Absolument, je suis un Caribéen convaincu ! D’ailleurs, j’étais pour une union de la Caraïbe. En 1946, quand je suis arrivé en Martinique, j’ai milité pour cette union caribéenne avec Édouard Glissant et bien d’autres, nous avons même fait des meetings à ce sujet.

KARICULTURE.NET : Cette union caribéenne que vous souhaitiez, est-elle encore possible ?

Gérald Bloncourt : Aujourd’hui, de la façon dont sont constituées les sociétés, je pense que c’est illusoire, mais ce qui est important, c’est de garder les contacts et ces contacts existent. Tous les écrivains martiniquais ou guadeloupéens sont connus des intellectuels haïtiens et vice versa. Il y a des échanges, nous sommes frères. Nous avons les mêmes racines. En Haïti, il y a plusieurs familles d’origine guadeloupéenne, je me rappelle qu’avec un des fils Bajeux, très jeunes, nous pensions à la Guadeloupe et nous rêvions de monter une expédition pour aller faire la révolution en Guadeloupe et débarrasser le pays du colonialisme français.

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Gérald Bloncourt: “Aujourd’hui, face au néo-libéralisme à outrance, la pensée politique, sociologique et économique fondée sur les idées de Karl Marx est, à mon avis, toujours valable”

KARICULTURE.NET : Où vous situez-vous par rapport à la “négritude” et à la “créolité”? 

Gérald Bloncourt : Je me considère comme un Créole. Négritude, pourquoi pas? Parce que j’ai aussi dans mes veines du sang africain. Je suis un mélange. Quand nous avons créé le journal La Ruche, il y avait des Noirs, des Mulâtres, des Quarterons, des Blancs, nous étions mélangés, il n’y avait aucune distinction de races. Nous étions des gens engagés dans la lutte des classes. J’étais du côté des masses.

KARICULTURE.NET : vous étiez un militant communiste, le marxisme a t-il une pertinence aujourd’hui ?

Gérald Bloncourt : Je ne suis pas entré dans le marxisme comme en religion. J’ai connu le communisme grâce à un cousin, Édouard Bloncourt, qui était un ami de Jacques Roumain, ce grand écrivain haïtien, le premier à avoir amené les idées marxistes en Haïti. Jacques Roumain a fondé le premier parti communiste en Haïti. C’était un groupuscule d’intellectuels. J’ai été initié par mon cousin qui m’a donné Le Manifeste de Karl Marx et Engels que j’ai dévoré. Je considère que Marx est un grand penseur, un grand philosophe. Ce sont des choses importantes qu’il a écrites pour analyser et comprendre le monde. Il a fixé un certain nombre de principes. Mais malheureusement, ces idées ont été mal utilisées et souvent déformées par ceux qui ont pris le pouvoir. Les apparatchiks ont trahit les idées du communisme en commettant par exemple d’horribles déportations. Les valeurs ont été escamotées. Tout cela, ce n’est pas le communisme du Manifeste. Je suis communiste, ce sont les autres qui ne l’étaient pas. Je suis un internationaliste dans mes conceptions. Aujourd’hui, face au néo-libéralisme à outrance, la pensée politique, sociologique et économique fondée sur les idées de Karl Marx est, à mon avis, toujours valable, ne serait-ce que l’exploitation de l’homme par l’homme. Il faut s’en servir pour construire une société différente.

KARICULTURE.NET : Parlons de votre combat contre Jean-Claude Duvalier, l’ex-président à vie au pouvoir en Haïti de 1971 jusqu’à sa chute en 1986. En 1986, vous avez constitué le “Comité pour juger Duvalier”, vous avez été débouté de vos plaintes par la justice française. L’ex-dictateur est retourné en Haïti en janvier 2011, après vingt-cinq ans d’exil en France puis, il est décédé le 04 octobre 2014 à l’âge de 63 ans. Pourtant, vous poursuivez votre lutte pour le juger…

Gérald Bloncourt : Même à titre posthume, nous poursuivons le combat pour que Jean-Claude Duvalier soit jugé car sa dictature a mis à mal notre pays. Beaucoup de gens sont morts en prison, ont été assassinés, torturés et des milliers de “boat people” ont disparus en mer. Des gens souffrent encore de graves exactions qui ont marqué le règne des Duvalier. Ce sont des crimes contre l’humanité.

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Gérald Bloncourt : “Je pense que l’on a vécu des évènements, il faut les transmettre. C’est ce que je fais à travers mes expositions, mes conférences, mes livres pour que les jeunes puissent analyser, comprendre et essayer de changer cette société ”

KARICULTURE.NET : L’immigration, l’exil, vous connaissez, vous avez réalisé des photographies de l’exil portugais de 1954 à 1974, des Pyrénées aux bidonvilles parisiens… Quelle est votre réaction sur la situation actuelle des migrants africains réduits à esclavage en Libye ? 

Gérald Bloncourt : C’est un scandale, un scandale au vu et au su de l’Occident démocratique, une conséquence des vestiges de l’esclavagisme. Des politiques méprisantes et cyniques des pays dit “civilisés” dont font partie au premier rang la France et les États-Unis d’Amérique. Cet exemple libyen n’est pas unique. Il existe à travers le monde de multiples formes de ces pratiques iniques. Il est urgent d’intervenir et de dissoudre ces réseaux assassins. Il faut agir sans perdre de temps.

KARICULTURE.NET : La transmission du savoir pour vous, c’est important ?

Gérald Bloncourt : Je pense que l’on a vécu des évènements, il faut les transmettre. C’est ce que je fais à travers mes expositions, mes conférences, mes livres pour que les jeunes puissent analyser, comprendre et essayer de changer cette société qui est profondément injuste. Oui, c’est aux jeunes de jouer, ce sont eux qui ont l’avenir en main.

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Gérald Bloncourt : “Oui, c’est aux jeunes de jouer, ce sont eux qui ont l’avenir en main”