La Renaissance, Rialto, Select, Plaza, Airport, Rex: ces cinémas mythiques de Pointe-à-Pitre-Les Abymes

Le Rex, le dernier cinéma de Pointe-à-Pitre, ne rouvrira pas ses portes le 22 juin prochain - Photo: Évelyne Chaville

Le mythique Rex a annoncé sa fermeture définitive, le 29 mai dernier. Construit en 1961, le Rex n’a pas pu résister à la concurrence de Cinestar, ce vaste complexe de cinéma moderne implanté aux Abymes et appartenant à Caribbean Cinemas de Porto Rico. Il n’y a plus de cinéma à Pointe-à-Pitre, la “ville d’art et d’histoire” a perdu son 5e lieu culturel de ce type.

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L’entrée de l’ancien cinéma Rex dans le quartier de l’Assainissement

“Coronavirus: Suite à l’annonce ministérielle, le cinéma ferme ses portes ce soir, samedi 14 mars après la dernière séance. Nous comptons sur vous afin d’appliquer les règles de sécurité sanitaire en vigueur. Prenez soin de vous, nous espérons vous revoir très vite”, c’est l’affiche qui a accueilli les quelques cinéphiles qui se sont rendus au cinéma Rex, situé à la rue José Marti dans le quartier de l’Assainissement à Pointe-à-Pitre, le samedi 14 mars dernier. Ces participants aux dernières séances avaient le choix entre : En Avant de Dan Scanlon ; Bad Boy for Life d’Adil El Arbi et Bilall Fallah avec Will Smith et Martin Lawrence ; Sonic de Jeff Fowler avec Jim Carrey ; Invisible Man de Leigh Whannell avec Elisabeth Moss et Une Sirène à Paris de Mathias Malzieu avec Nicolas Duvauchelle.

Tous ces films sont sortis en 2020, donc sont des nouveautés mais malheureusement, les quatre salles du Rex, exploitées par Cinésogar, n’attiraient plus un large public. Il y a quelques années, ce n’était pas le cas : certains habitants de la région du Sud-Basse-Terre, par exemple, réservaient leur week-end pour venir voir des films dans ce cinéma mythique de Pointe-à-Pitre, les 50 kilomètres en voiture ne les effrayaient pas car ils étaient sûrs de passer un bon moment. Au cours de ces dernières années, le Rex était devenu un cinéma de quartier sans intérêt, on passait devant le bâtiment sans même s’arrêter pour connaître les films à l’affiche.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la baisse de fréquentation du cinéma en général : le magnétoscope qui lui-même a déjà disparu ; le lecteur de DVD ; la location de cassettes vidéos et DVD ; les chaînes de télévision par câble et satellite ; les chaînes spéciales cinéma; l’abonnement à une plateforme proposant des films (Netflix) ; l’ordinateur et internet. Et malgré les sorties de films en exclusivité dans les salles de cinéma, le public, notamment celui du Rex, s’est fait de plus en plus rare.

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L’une des salles du Multiplexe Cinestar aux Abymes

Un coup de grâce venu de Porto Rico

Le coup de grâce a été donné au Rex qui a été construit par le groupe Élizé de la Martinique, il y a près de 60 ans, par l’ouverture en juin 2017 du Multiplexe Cinestar avec ses 10 salles de projection.

Ce nouveau cinéma appartient à Caribbean Cinemas – une entreprise fondée en 1969 à Porto Rico par Victor Carrady et présidée par Robert Carrady – qui, outre Porto Rico, s’est implantée dans plusieurs îles de la Caraïbe (République Dominicaine, Îles Vierges des États-Unis, Sint Maarten, Saint-Kitts, Saint-Lucie, Antigue, Aruba, Trinidad et Tobago, Guadeloupe) et ailleurs (Panama, Guyana…), ce qui représente un mastodonte avec 57 cinémas et 462 écrans… Situé dans la ZAC de Dothémare aux Abymes, Cinestar qui a coûté 22 millions d’euros a littéralement “aspiré” la clientèle du Rex avec ses 5 000 m2 de surface, son programme varié de films, ses équipements ultra-modernes notamment en matière de son dolby, ses 1200 places de parking, ses lieux de restauration etc. Deux semaines après son ouverture, plus de 40 000 spectateurs avaient été accueillis à Cinestar

Les derniers efforts du Rex – l’achat de tickets à l’avance pour ne pas faire la queue, la construction d’une rampe pour les personnes à mobilité réduite fin 2019 ou encore la location d’une salle pour sélectionner des candidats à un concours de chant sur une chaîne de télévision nationale – n’ont pas stoppé l’hémorragie.

Peut-être que la direction du Rex espérait vraiment rouvrir les portes de ce complexe cinématographique ou peut-être aussi avait-elle déjà jeté l’éponge depuis longtemps. Il faut dire qu’il existe ce projet d’un complexe de 8-10 salles à Morne Bernard à Baie-Mahault – dénommé Cinévallée – qui devrait sortir de terre dans deux ou trois ans. En 2017, un recours quant à sa construction avait été déposé au tribunal par le tout nouveau Cinestar mais la Cour administrative de Paris a autorisé en novembre 2019 sa mise en oeuvre. Par ailleurs, on avait souvent annoncé la fin du D’Arbaud faute de public, finalement le cinéma de la capitale, Basse-Terre, qui fait également partie de la société Cinésogar, n’est pas concerné par cette décision de fermeture du Rex et il accueillera le public le mercredi 24 juin prochain au lieu du 22 juin, date de réouverture de tous les cinémas sur le territoire français dans le cadre du déconfinement.

Mais les Pointois sont maintenant habitués à enterrer leurs salles de cinéma. En effet, celle qui était considérée comme la capitale commerciale de la Guadeloupe comptait sur son territoire 5 cinémas : La Renaissance, Rialto, Plaza, Select et Rex.

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L’ancien cinéma La Renaissance sur la Place de la Victoire

Le Plaza dans le quartier populaire de Dino

Situé sur la Place de la Victoire, le cinéma-théâtre La Renaissance a été inauguré le 22 mars 1930. Avec ses 500 places et sa belle façade “art nouveau”, elle attirait toutes les couches sociales dont la bourgeoisie. “Des projections de films venus du monde entier, des pièces de théâtre et concerts y étaient proposés au public. L’activité cinématographique pure débute avec l’ouverture du Rex”, dit Gyslaine Nanga, la directrice des Affaires culturelles à la mairie de Pointe-à-Pitre. En effet, certaines personnes se rappellent aujourd’hui les spectacles de stars de la chanson venues de France dans ces murs. À partir des années 1970, La Renaissance se consacrera exclusivement au cinéma puis fermera ses portes définitivement en 2001. Le 25 janvier 2020 un incendie a ravagé le bâtiment qui devait faire partie d’un projet culturel prévu par la Communauté d’agglomération Cap Excellence qui l’avait acheté…en 2010.

Le Rialto, ouvert en 1940 au Quai Gâtine, a été dévasté par un incendie en 1950. Durant la Seconde Guerre mondiale, note Gyslaine Nanga “des soldats américains en poste dans la ville, organisaient des projections sous le Kiosque de la Place de la Victoire”.

Le Plaza qui a été créé en 1950 et a fermé ses portes en 1984. Certains se souviennent que le lieu de son implantation s’appelait Dino, à l’époque – aujourd’hui c’est le boulevard Chanzy – et c’était un quartier populaire dans une ville de Pointe-à-Pitre où le niveau social des habitants se montrait avec des rues bourgeoises et des rues pauvres.

Pendant plusieurs décennies, le Plaza a attiré les amateurs de peplums, westerns, films policiers, films romantiques et même de films pour adultes dans les dernières années de son existence ainsi que des spectacles. Un habitant nous affirme, avec beaucoup d’émotion, que le dernier spectacle qu’il a vu dans cette célèbre salle a été celui du chanteur martiniquais David Martial…

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L’emplacement de l’ancien cinéma Plaza sur le Boulevard Chanzy

Financer des films qui nous ressemblent

Les anciens de la ville se souviennent aussi du cinéma le Select qui a été créé en 1957 et qui a été également victime d’un incendie, ils le considéraient comme le “cinéma de Monsieur l’abbé”. C’est vrai qu’à cette époque, l’église et le cinéma pouvaient bien s’entendre en Guadeloupe puisque dans la commune de Gourbeyre, par exemple, le père André Nio avait installé un cinéma qui proposait des grands films dans la salle paroissiale ; ce lieu est devenu la Salle Gilles Floro. Gyslaine Nanga précise que : “le Select était situé à la rue de la République dans une maison traditionnelle ayant appartenu à l’Évêché, il était considéré comme une annexe du Plaza”.

Le dernier cinéma à ouvrir ses portes à Pointe-à-Pitre a été le Rex, sa fin ayant été accélérée par l’épidémie de Covid-19 et le confinement. “Le Rex ouvre en 1961 et est considéré, à ce moment-là, comme le plus grand cinéma de Guadeloupe avec ses quatre salles réparties sur deux niveaux”, ajoute la directrice des affaires culturelles de la ville. Mais au fil des années, le fleuron des lieux de projection est devenu obsolète.

À cette liste, on pourrait ajouter le cinéma Airport qui se trouvait au Raizet (Les Abymes) donc à quelques encablures du centre de Pointe-à-Pitre. “Sa dernière séance a eu lieu vers la fin des années 1980”, se souvient un habitué qui y a vu un “James Bond”. La Chambre des Métiers de la Guadeloupe s’est depuis installée dans ses locaux.

Aujourd’hui, le constat est clair : Pointe-à-Pitre, “ville d’art et d’histoire”, n’a plus aucune salle de cinéma sur son territoire. Il semblerait qu’une association aimerait reprendre les locaux du Rex pour y proposer une nouvelle offre de cinéma…

Les Guadeloupéens aiment le 7e art, il existe plusieurs festivals de cinéma chez nous, nos jeunes sont attirés par les métiers du cinéma mais souvent nos réalisateurs ne tournent que des courts-métrages… Il serait donc important qu’une grande chaîne de salles comme Caribbean Cinemas qui gagne beaucoup d’argent en Guadeloupe grâce à son Multiplexe Cinestar investisse dans la réalisation de films qui nous ressemblent comme elle l’a fait en République Dominicaine avec le film “Los Leones”, sorti en novembre 2019.

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Robert Carrady, président de Caribbean Cinemas, avec des membres de l’équipe du film “Los Leones” lors de la première à Saint-Domingue en novembre 2019