Journée internationale du Créole: Jean de la Fontaine traduit par François-Achille Marbot en 1846 !

Ce commissaire de la marine et passionné de littérature de la Martinique a traduit en créole plusieurs fables du poète français Jean de la Fontaine, il y a 173 ans.

Instaurée le 28 octobre 1983, la Journée Internationale du Créole fête aujourd’hui son 36e anniversaire dans tous les territoires dans le monde où cette langue est parlée notamment dans les îles de la Caraïbe (Haïti, Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Dominique, Sainte-Lucie etc.).

À l’occasion de cet événement annuel, votre magazine culturel en ligne KARICULTURE.NET vous propose de découvrir ou redécouvrir trois fables très connues de la littérature française qui ont été traduites en créole appelé patois au cours des siècles passés.

Il s’agit de “La Cigale et la Fourmi”, “Le Corbeau et le Renard” ainsi que “Le Loup et l’Agneau” du poète et avocat français Jean de la Fontaine, né à Château-Thierry en 1621 et mort à Paris en 1695. Ses fameuses fables ont été publiées dans 12 livres entre 1668 et 1694 : livres 1 à 4 en 1668, 7 à 8 en 1678, 9 à 11 en 1679 et 12 en 1694. Ces récits courts généralement en vers dont on tire une moralité sont inspirés d’Ésope et de Phèdre; ils sont connus pour déployer des trésors d’imagination et montrent une parfaite maîtrise de la langue et du vers par l’auteur.

Celui qui a osé “s’attaquer” à ces grands textes de Jean de la Fontaine – qui est devenu membre de la prestigieuse Académie Française en 1683 – s’appelle François-Achille Marbot. Ce commissaire de la marine était un passionné de littérature et habitait à Fort-de-France, en Martinique.

La lecture de ces trois fables en créole ou patois qui s’appuie sur le français ancien n’est pas facile. Cependant, ce qui retient surtout l’attention des lecteurs, c’est la date de cette traduction – 1846 – soit deux années avant l’abolition de l’esclavage dans les territoires français (1848). En effet, beaucoup en Guadeloupe ou en Martinique pensent que la langue créole a commencé à vraiment s’écrire dans les années 1980 avec des auteurs comme Sylvianne Telchid et Hector Poullet ou le GÉREC-F (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone). Mais on constate, grâce à ces traductions de François-Achille Marbot datant de 173 ans, qu’il y a eu des précurseurs pour essayer de donner une orthographe et une grammaire à la langue créole.

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La Cigale et la Fourmi

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
– Nuit et jour à tout venant
Je chantois, ne vous déplaise.
– Vous chantiez ? j’en suis fort aise :
Eh bien! dansez maintenant. »

Yon cigale, y té tini
Qui toujou té ka chanté ;
Y té tini yon frommi
Côté li té ka rété ;
Yon jou cigale té ni faim
Li ka chaché mòceau pain,
Li allé dit frommi là :
« Ba moin ti brin mangé, m’a
Ranne ou quand moin va trouvé
Quéchose qui bon pou mangé. »
(Zott save frommi pas aimein
Prèté ni longé lamain)
Là dit cigale : « Chè doudoux,
Ça ou ka fè tout les jou
Pou ou pas tini mangé ? »
Cigale dit : « Moin ka chanté
Quand yo ka dansé bèlè. »
– « Anh! anh! ou ka chanté, chè,
Ça fè ou pas tini d’autt
Métié ? eh! ben, chè cocott,
Si ou faim, dans bamboula
Allé dansé caleinda. »

C’est pou ça yo ka dit zott
Quand yon moune ka fié compté
Lassous canari yon lautt,
Li pé rété sans soupé.

 

Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage.
Maîre Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé! bonjour, monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et, pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendroit plus.

Compè còbeau té vòlò
Yon bel gros fromage tête-mò,
Dans bec li té quinbé li.
Fromage là té ka senti.
Compè rina ka passé
Vouè compè còbeau posé
Lassous yon branche bois, li dit :
Moin ni yon bon lappétit ;
Fromage là ni bon lodè ;
Si moin té pé ni bonhè
Trappé li, moin ta soupé
Pli mié passé piess béké.
Rina qui c’est yon fin melle
Dit pou còbeau : « haï! ou belle,
Zhabit ou à la polka,
Ou ni lè yon esquouaïa ;
Tant adans bois com en ville,
Ou doué passé pou yon lhuile
Augustin Fab. Mais vouésin,
Yo dit moin ou misicien ;
Moin tanne yo palé de ou
Lacase toutt moune, tout-patout ;
Yo dit moin pas ni chantrelle
Qui tini lavoué pli belle
Passé ou, en vérité.
Compè moin t’en prie, souplé,
Moutré moin yo pas menti.
Ça va fè moin bien plaisi
Si tout ça yo dit moin voué. »
Nein compè còbeau gonflé.
Aïh! aïh! aïh! ça li tanne là ?
Après belle parole com ça
Li pas té pé résisté ;
Li rouvè bec pou chanté,
Quitté fromage là tombé
Adans guiole compè rina
Qui prend ri quia! quia! quia! quia!
Et pis dit còbeau : « Doudoux,
Gens qui save passé saindoux
Quand yo vlé ka badinein
Ça qui pas tini nein fin ;
Si to pas té yon concomme
To pa sré couè to belle nhomme,
To pas sré chachè chanté,
To pas sré quitté tombé
Fromage to dans guiole yon lautt. »
Compè còbeau rété sott.
Li pas dit rina engnien
Mais dans dent li bougonnein :
« Yo pas k’é prend moin encò
Pace lesprit cò conduit cò. »

 

Le Loup et l’Agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un Agneau se désaltéroit
Dans le courant d’une onde pure ;
Un Loup survient à jeun, qui cherchoit aventure,
Et que faim en ces lieux attiroit.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
lus de vingt pas au-dessous d’elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurois-je fait si je n’étois pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est dont ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens ;
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Douvant poule ravette pas ni
Raison. Provèbe là bien voué.
Li voué ladans caze béké,
Li voué dans caze nèg aussi.

Yon ti mouton, les-autt-fois,
Té ka bouè dans lariviè.
Yon gros loup sòti dans bois
Li vini tou pou li bouè,
Loup là, dent li té rouillé,
Li pas té trouvé mangé ;
Ou’a dit li té fè carême ;
Guiole li té longue, li té blème
Com yon patate six simaine,
Maig com yon nèg qui dans chaîne.
Quand li vouè ti mouton là,
Tout suite khè li té content.
Li dit : Bon gué voyé ça
Pou moin metté en bas dent.
Li dit mouton : « Pouquò fè
To, rhadi, ka vini bouè
Dans lariviè, pou troublé
Dleau là ? To fè ça exprès
Pou chaché train évec moin.
To pas té tini bousoin
Fè ça, moin té save déjà,
Dans l’année sui passé là,
Lassous moin to mal palé. »
Ti mouton là dit : « Mouché,
Pi-ètt c’était yon lautt moune,
Piss moin p’encò té dans moune
Dans temps ou ka palé là. »
Grop loup là répoune comça :
« Si c’est pas to, c’est papa
Yche maman to. » – « Mais moin pas
Ni papa, moin c’est bata. »
– « C’est fouè to pouloss mou fi. »
– « Fouè ? mais moin com titiri
Moin pas tini piess parent.
Dépi moin lassous latè
Moin pas jamain ni bonhè
Connaîte yonne ; anni maman…… »
–  » To ka raisonnein joucoué.
Qui moune ça to ka palé ?
Coument, to p’encò ni dent
Et to déjà insolent.
M’a fè to vouè to ni lò
Vini ici fè guiole fò. »
– « Mais moin pas dit ou engnien,
Mouché, chè maîte!  » – « Pas bousoin
To mandé grâce, à présent.
Quand li dit ça, li fè : houan!
Ça fè, li ba li yon coup
D’dents pa côté dériè cou.
Pauve ti mouton mò raide à tè.
Loup là prend toutt, viane com zo,
Valé : fioupe! com yon gombo.