Haya: “‘Tsunami’ est devenu le titre phare de Nashoo et Haya, il nous a fait découvrir l’international”

Haya: "La musique, c'est dans la famille, mon père est guitariste et j'avais une maman qui chantait, ils m'ont toujours transmis le goût de la musique"

Son expérience dans la musique urbaine, les personnes importantes qu’il a rencontrées au niveau national et international ou avec qui il collabore auraient pu le rendre inaccessible mais Haya est un modèle de simplicité. Les morceaux de l’artiste qui est aussi producteur sont joués par les radios aux quatre coins de la planète; ils étaient aussi sur les platines des DJ dans les boîtes de nuit juste avant l’épidémie du Covid-19…

Kariculture vous propose la 1ère partie d’une longue interview que nous a accordée l’ambassadeur en France de Coast 2 Coast, le célèbre concours de chant américain.

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Kariculture.net : Quel est ton véritable nom? Pourquoi as-tu choisi comme nom de scène “Haya” et que signifie-t-il?

Haya : Mon véritable nom c’est Cédric Claude Jarvis. Haya c’est le nom que m’ont donné, dans les années 2000, les membres de “Gang Jah Kultcha”, un groupe que j’ai monté avec quelques frères et cousins parce qu’à l’époque j’étais grand (donc “Higher” qui veut dire en anglais “plus grand” et “Haya” en créole jamaïcain) et j’étais le plus chaud de la bande, je voulais toujours aller me confronter aux groupes dans les autres villes (Pointe-à-Pitre, Baie-Mahault etc.).

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Kariculture.net : Viens-tu d’une famille où la musique et le chant occupaient une grande place?

Haya : La musique, c’est dans la famille: mon père est guitariste et j’avais une maman qui chantait, ils m’ont toujours transmis le goût de la musique. Le week-end, il y avait de la musique dans la maison, tout le monde chantait, à l’église c’était pareil avec notamment du gospel depuis le plus jeune âge. En fait, mes parents étaient protestants et ils chantaient à l’église, ils avaient un petit groupe avec lequel ils faisaient le tour des églises, je n’étais pas encore né à l’époque et ils n’avaient jamais perdu l’entrain de brancher la guitare et de chanter avec les enfants des cantiques etc.; ma mère et ses soeurs étaient des fans de gospel, mon père pas trop.

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Kariculture.net : Peux-tu nous raconter tes débuts dans la chanson?

Haya : À l’école, je chantais tout le temps, je ne savais pas encore quelle direction cela allait prendre mais dès qu’il y avait une récré, je faisais le fanfaron en chantant, en colonie de vacances, c’était pareil et à l’âge de 13-14 ans j’ai commencé à écrire mes propres textes.

Dès mon premier lyrics, mon cousin Powshan et moi avons créé le groupe “Gang Jah Kultcha”. J’ai commencé avec la dancehall en 1994. J’organisais des soirées chez moi à La Jaille, Baie-Mahault: après avoir composé, on prenait le micro et on invitait les voisins. Finalement, tout le quartier se ramenait, puis c’est la ville qui se ramenait puis c’est toute la Guadeloupe qui se ramenait à la maison. C’était plutôt des gens qui étaient dans le mouvement reggae qui venaient mais on faisait des zouk donc on jouait tous les types de musique mais la musique qui émergeait à l’époque c’était le dancehall jamaïcain. C’était l’époque des “one riddim”: des sessions de plusieurs artistes sur la même instrumentale et nous, on était ébloui par le chant des gars de la Jamaïque. J’ai donc commencé à faire des reprises de morceaux en créole, toujours en utilisant un peu d’anglais, j’étais déjà très fort en anglais à ce moment-là.

À 17 ans, je suis partie en France hexagonale, je voulais faire des études, m’évader, voir du monde… Après le décès de ma mère, je n’avais pas trop envie de rester en Guadeloupe, les familles se recomposent, je voulais mon propre élan et j’ai rejoint ma soeur là-bas…

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Kariculture.net : Quand tu es arrivé en France hexagonale, comment t’es-tu reconnecté à la musique?

Haya : Je me suis reconnecté à la musique dans les “sound systems” qui existaient encore avec des Guadeloupéens, Martiniquais, Guyanais et Africains. J’y allais et je prenais le micro, je partais à la radio, je faisais mes petits trucs, je n’ai jamais arrêté.

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Nashoo & Haya

Kariculture.net : Dans la vie, tu es le compagnon de la chanteuse Nashoo qui fait une carrière internationale. Tous les deux, vous vous êtes rencontrés à Paris, comment s’est passée cette rencontre qui a été d’abord musicale?

Haya : Nashoo et moi, on s’est rencontré en 2004 et depuis, on ne s’est pas lâchés. Powshan, mon cousin, était déjà en relation avec Nahsoo, j’avais entendu parler d’elle et elle avait entendu parler de moi donc on se connaissait sans vraiment se connaître. Le jour où l’on s’est rencontré, on a commencé à collaborer tout de suite. On partait dans les “sound systems” ensemble, on rédigeait des textes de chansons ensemble, et on a commencé à créer un petit répertoire commun. Les “sound systems” se passaient dans les boîtes de nuit à l’Avenue Hoche à Paris, je me souviens de “Le Divan du Monde”, dans la banlieue, dans les parcs, notamment à Sarcelles, durant les grandes vacances.

Moi, j’avais déjà commencé à enregistrer des morceaux depuis la Guadeloupe, grâce à Ti Woni qui m’a fait faire mon premier studio avec Jahlawa dans la campagne à Goyave. J’avais déjà l’expérience du studio mais j’étais plutôt un artiste scénique et c’est resté, je suis plus scénique que digital même si le dada de l’artiste est de garder une trace de ce qu’il fait, il ne peut pas rester toujours dans le “physique”.

Nashoo et moi, on est donc parti en studio sur l’Avenue Hoche. Les champions de “sound systems” étaient Arawak Sound (Guadeloupe) et Junior Sound (Martinique), ils étaient tout le temps en compétition. Arawak Sound avait à Hoche une radio et nous, on partait là-bas faire nos enregistrements et des membres de mon équipe avaient aussi leur studio donc on pouvait faire nos maquettes et, au fur et à mesure, on s’est constitué un petit répertoire de titres ensemble.

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Kariculture.net : Avez-vous sorti des morceaux, à l’époque?

Haya : Ces morceaux sont sortis en digital sur SoundCloud, on n’a pas fait d’albums. À partir de 2006, on a commencé à sortir nos morceaux en légal digital, sans passer par SoundCloud, on a commencé à mettre nos titres sur Believe et ça partait sur d’autres plateformes comme Amazone, I Tune etc.

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Kariculture.net : Puis, Nashoo et toi, vous décidez de partir vous installer à Londres, il a fallu à nouveau se “reconnecter” à la musique, comment cela s’est-il passé?

Haya : On est parti à Londres en 2011, c’est un choix, je faisais déjà des allers et retours là-bas, j’allais découvrir le pays. En fait, j’ai visité beaucoup de pays européens quand j’étais sur Paris, je ne pouvais pas être sur un grand continent comme l’Europe et rester à Paris. Je suis parti par exemple en Italie, dans l’ex-Yougoslavie, en Belgique, en Hollande mais j’étais plus attiré par l’Angleterre à cause de l’anglais. Au départ, je suis parti à Londres pour le carnaval de Notting Hill en 2008, je me suis fait des contacts, j’y suis retourné en 2009 et 2010 puis en 2011, Nashoo et moi, on s’est installé là-bas. C’est une communauté ivoirienne qui nous a aidés à nous installer, elle nous a bien aiguillés.

Se reconnecter à la musique, cela a été très rapide. On a été accueilli par des Caribéens (Sainte-Luciens, Trinidadiens, Jamaicains etc.) mais ce qui était surprenant, c’est que ces gens ne connaissaient pas la Guadeloupe, nos musiques, notre créole et pourtant il y avait des frères guadeloupéens qui vivaient là-bas mais ils restaient dans leur milieu français (par exemple, les rapeurs ne rappaient qu’en français) ou ils rentraient directement dans le “moule anglais”…

Nashoo et moi, nous avons fait pas mal de prestations pour célébrer la fête d’indépendance des îles anglophones caribéennes – “Independence Day” de Trinidad et Tobago, Jamaïque, Barbade etc. – car grâce à nos connexions, on arrivait à se faire “booker” pour les concerts. On venait avec notre créole et ça leur faisait plaisir parce que c’est un langage que certains d’entre eux entendaient chez eux mais il est surtout parlé par les anciens donc ils étaient contents de nous recevoir à chaque fois…

À Noël 2012, j’ai acheté mon matériel pour faire mes enregistrements et mixages; une heure de studio coûtait 40 pounds/50 euros. “Tsunami” est le premier morceau que j’ai enregistré avec Nashoo et mixé tout seul. C’est le premier morceau qui sort de Spaceship Musik, notre maison de production. Avant, j’envoyais ma musique à des collaborateurs qui me faisaient mes mix et masters, je leur demandais conseil et, un jour, j’ai réussi à mixer un certain titre et c’était “Tsunami” qui nous a permis de faire une belle avancée.

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Haya, Nashoo, Cold Chizzle

Kariculture.net : Dans la capitale britannique, votre carrière a pris un autre tournant avec une première participation au grand concours Coast 2 Coast pour être sur la mixtape d’un rappeur américain très connu. Peux-tu nous en parler?

Haya : Ce morceau “Tsunami”, c’est notre premier titre totalement en anglais, jusque-là on mélangeait l’anglais et le français. Il n’était pas destiné à la vente, on l’a mis sur SoundCloud au départ, la musique ne nous appartenait pas, elle appartenait à un producteur de la Jamaïque qui avait déjà sorti une session de “one riddim” avec plusieurs artistes. Avant d’enregistrer “Tsunami”, j’ai contacté ce producteur qui s’appelle Anju Blaxx, le directeur de UIM Records, et je lui ai demandé l’autorisation d’exploiter à but non lucratif la musique et de la mettre sur mon SoundCloud, il a été d’accord. Nous avons eu de bons retours de Guadeloupéens, de francophones qui nous suivaient depuis longtemps.

J’ai reçu un mail de Coast 2 Coast me proposant de participer à un concours pour placer ce morceau que Nashoo et moi interprétions en duo sur la mixtape d’un artiste américain que j’aime beaucoup, Future. Coast 2 Coast permet aux artistes indépendants d’être aux côtés des artistes phares sur un projet, ce qui nous donne beaucoup de visibilité. Je n’ai rien dit à Nashoo, j’ai fait notre inscription au concours. Il fallait qu’on récolte des votes, des commentaires, des interactions. On est aussi “parti en campagne”, on a demandé à nos familles, amis, fans de voter pour nous. On a fini 3e à ce concours et on a été sélectionné pour être sur la mixtape de Future.

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Kariculture.net : Quelle a été ta réaction quand tu as vraiment vu votre chanson “Tsunami” sur la mixtape de Future?

Haya : J’était très content, Future a même mis son empreinte sur le morceau, il a laissé une acappella, notre morceau a été le seul ayant reçu l’acappella du gars, j’ai encore la carte, c’est une belle dédicace. J’ai contacté Future, on a échangé. Cela m’a permis d’avoir des contacts. “Tsunami” est devenu le titre phare de Nashoo et Haya, il nous a fait découvrir l’international.

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Nashoo, Rob Curty & Haya

Kariculture.net : L’aventure avec “Tsunami” n’allait pas s’arrêter là puisque Nashoo et toi vous avez participé une nouvelle fois au célèbre concours de chant américain, “Coast 2 Coast”. Cette fois-ci, il fallait se produire sur scène et devant un jury…

Haya : Le concours en “live” de Coast 2 Coast avait déjà lieu dans une soixantaine de villes aux États-Unis. Le mois qui a suivi le concours pour être sur le mixtape de Future, les organisateurs ont décidé de faire ce concours “live” en Europe et de commencer par l’Angleterre. Nashoo et moi, on avait déjà décidé de retourner en Guadeloupe, on avait pris nos billets pour le lendemain du “live” même si on partait gagnant.

Le “live” se passait à Camden. On est arrivé dans la salle, on a vu les candidats, on a salué les juges et ils nous ont bien expliqué que leur principe c’est de créer des connexions, sans connexion on n’est personne, donc de commencer à interagir avec les gens, avec les juges, on a compris cela très bien, on a pris tous les contacts possibles. Ce jour-là, j’ai rencontré l’un des plus gros producteurs de hip hop aux États-Unis Rob Curty 808 Mafia, DJ Big d’une des plus grosses radios américaines, Gareth de Major Player Music Global, l’ambassadeur de Coast 2 Coast en Grande-Bretagne et Lil Fats, le patron de Coast 2 Coast, qui s’était déplacé pour l’occasion.

Quand notre tour est arrivé de passer sur scène, on a fait notre show tout simplement mais le producteur de 808 Mafia a reconnu l’instrumentale qui n’était pas notre musique – il écoute beaucoup de dancehall – alors le jury a dit que Nashoo et moi, on devait être premiers mais qu’il allait nous mettre 4e, alors je lui ai dit qu’il fallait peut-être revoir le règlement car on a l’autorisation du producteur pour utiliser cette instrumentale, les paroles sont les nôtres et on vient d’un milieu reggae-dancehall où c’est très commun, peut-être pas dans le hip-hop. C’est vrai qu’on était un peu décalé car c’était un concours hip-hop mais “Tsunami” c’est un mélange de dancehall, RnB… Lil Fats et Rob Curty 808 Mafia se sont consultés et sont revenus vers nous, ils se sont excusés et Rob Curty nous a dit: “qu’est ce que vous faites, on vous a remis notre carte de visite et vous n’avez toujours pas envoyé un message, vous ne savez pas qui on est?”. En fait, ils viennent pour donner de l’opportunité aux artistes indépendants et ils attendent de la réactivité tout de suite.

Les juges nous ont laissé 4e mais nous avons reçu une plus grosse opportunité: devenir les ambassadeurs de Coast 2 Coast sur le territoire français.

Lil Fats & Haya 11
Haya & Lil Fats

Kariculture.net : Comment le patron de Coast 2 Coast, Lil Fats, vous a t-il fait cette grande proposition?

Haya : Lil Fats est revenu vers nous et nous a dit: “j’ai entendu dire que vous partez sur Paris, demain, j’ai besoin de m’installer en France, notamment à Paris et à Cannes, pourriez-vous m’aider?”. Nashoo et moi, on a accepté d’être les ambassadeurs de Coast 2 Coast sur le territoire français mais on a dû rester 10 mois de plus à Paris pour l’installer, après on est rentré en Guadeloupe.

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Haya, Gareth & Nashoo

Kariculture.net : Comment cette installation du concours Coast 2 Coast en France s’est-elle passée?

Haya : C’était en 2016. J’ai d’abord prospecté pour trouver une salle à Cannes. Lil Fats voulait impérativement faire un événement en parallèle avec le MIDEM (Marché International de la Musique) où Coast 2 Coast a déjà un stand car beaucoup d’artistes viennent à ce rendez-vous pour établir des connexions. J’ai donc trouvé une salle à Cannes et une salle à Paris, on a mis une date, une promo et j’ai été chargé du recrutement du jury; il fallait que je trouve les acteurs du disque et de la musique urbaine (hip hop, reggae, dancehall…) en France qui pourraient être juges dans cet événement en plus des juges venant des États-Unis, de Londres et d’ailleurs.

J’ai trouvé pas mal de gens tels que Yann Dakta, producteur de PNL; Dream Touch qui est un beatmaker français qui travaille avec les États-Unis; Why Not Production qui est franco-béninois et qui fait aussi du beatmaking pour la Jamaïque etc; le rappeur français Booba était trop cher… J’ai accueilli le public et présenté le concours…

Même si Nashoo et moi on vit maintenant en Guadeloupe, en tant qu’ambassadeurs, on a une interface web pour continuer à s’occuper de l’organisation du concours Coast 2 Coast dans l’Hexagone. On voit toutes les inscriptions sur ce site et les participants peuvent aussi s’inscrire en nous contactant. Je n’ai pas forcément besoin de me déplacer en France hexagonale puisque Gareth qui est l’ambassadeur de Coast 2 Coast en Grande-Bretagne et qui est maintenant mon collaborateur peut se rendre à Paris et Cannes pour faire la présentation de l’événement.

Une vingtaine d’édition a déjà eu lieu à Paris, dans des discothèques comme Le Mikado et Les Disquaires et, à chaque fois, c’est un concours avec des candidats sur scène, des artistes qui font des prestations et un jury qui délibère. Pendant ces derniers mois de Covid-19, il n’y a pas eu de concours.

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Kariculture.net : Que gagne le lauréat Coast 2 Coast en France?

Haya : Quand les artistes gagnent, Coast 2 Coast leur ouvre tout son réseau donc ils gagnent de la promotion et de la distribution. Le lauréat Coast 2 Coast en France gagne la possibilité de participer à la Grande Finale annuelle qui se tient à Miami et qui récompense le Grand Gagnant de 50 000 dollars et de la distribution de sa musique…