La Caraïbe compte plus de 200 festivals. Presque toutes les îles ont plusieurs festivals, visiblement, toutes les occasions sont bonnes pour créer une animation. Ces rendez-vous qui sont généralement annuels concernent un éventail très large de domaines: musique, cinéma, tradition, théâtre, cuisine, danse… Si les îles voisines utilisent leurs festivals pour promouvoir leur territoire à l’étranger et engranger des devises, la Guadeloupe se contente d’organiser des festivals pour les Guadeloupéens.
Dans cette pléthore de festivals, certains sont enracinés dans notre zone et sont même nécessaires. Outre leur visée économique pour les pays organisateurs, ils ont le mérite de souder la cohésion des peuples caribéens à travers la culture et l’histoire.
C’est le cas notamment du Festival des Arts de la Caraïbe qui est à classer parmi l’une des plus grandes manifestations populaires cimentant le sentiment d’appartenance de nos peuples à notre région. Créé en 1972 à Georgetown en Guyana et organisé maintenant tous les deux ans, le Carifesta célébrera sa 13e édition du 17 au 27 août prochain à la Barbade avec plus de 3 000 artistes et artisans représentant une quinzaine de pays invités. Le gouvernement barbadien prévoit d’investir 6 millions de dollars barbadiens mais espère amortir cette dépense grâce aux milliers de visiteurs attendus.
Le Festival del Caribe – Fiesta del Fuego qui fêtera en juillet prochain son 37e anniversaire à Santiago de Cuba participe aussi à l’union des peuples de notre bassin géographique. Ce grand rassemblement de toutes les îles caribéennes et des pays d’Amérique latine est l’occasion de prendre part à des colloques sur des thèmes très sérieux, d’écouter des musiques et de voir des danses traditionnelles. Chaque année, un pays de la Caraïbe ou d’Amérique latine est l’invité d’honneur de la manifestation. Après l’Équateur en 2016, cette année, la culture populaire de l’île de Bonaire aura cette place de choix.
Il existe des festivals de moindre envergure destinés eux-aussi à valoriser l’histoire et la tradition dans certaines îles. C’est le cas du Festival Marron d’Accompong (Accompong Maroon Festival). Accompong est cette petite ville située à l’ouest de la Jamaïque où des esclaves marrons ont signé en 1739 avec les Britanniques un traité de paix leur accordant une semi-souveraineté sur ce territoire. Cet accord est encore valable et la localité qui est une sorte de “nation à l’intérieur d’une nation” se targue de n’enregistrer aucun crime et est très visitée par les touristes. Au programme de ce festival, il y a des chants, des danses et des contes traditionnels ainsi que de la bonne cuisine jamaïcaine.
On peut aussi citer le Festival Héritage de Tobago (Tobago Heritage Festival) créé en 1987 pour préserver le patrimoine africain ; le Festival des Neuf Matins (Nine Mornings Festival) de Saint-Vincent et les Grenadines dont la date de création est le 1er décembre 1913 mais qui remonterait à la période de l’esclavage ; le Festival Indigène de Jayayu de Porto Rico fondé en 1969 pour ne pas oublier le patrimoine légué par les Indiens Taïnos.
La grande popularité des festivals musicaux
Outre la tradition et le patrimoine, le cinéma a pris une place très importante dans le monde du festival caribéen notamment aux Bahamas, Îles Caïmans, à Saint-Barthélémy, Barbade, Porto Rico, Cuba, Curaçao, Aruba, en Guadeloupe, Martinique, République Dominicaine, Jamaïque…
Les festivals culinaires connaissent aussi un véritable boom dans notre région afin de valoriser la nourriture locale jugée meilleure pour la santé.
Mais, les festivals les plus populaires sont ceux qui se consacrent à la musique. Ils sont très nombreux, quand un festival se termine, un autre débute.
Leur principal objectif à part faire découvrir les chansons des artistes ou groupes: engranger un maximum d’argent. Cependant, il est difficile de faire des reproches aux organisateurs publics ou privés de festivals quand on sait que presque toutes les grandes cultures agricoles qui faisaient la richesse de ces anciennes colonies et qui permettaient aux habitants (dont une majorité de descendants d’esclaves) de “vivoter” ont disparu. De plus, de nombreuses îles ne possèdent aucune ressource minérale alors le tourisme et le spectacle sont devenus des nouveaux secteurs économiques.
Ainsi, certains blogs ne se gênent pas pour noter, classer les festivals. En janvier 2016, Travelwith2ofus a même écrit qu’il fallait voir (seulement) 7 festivals de musique dans la Caraïbe : Aruba Caribbean Sea Jazz Music Festival (2007) ; Tobago Jazz Festival (2009) ; Saint Lucia Jazz & Art Festival (1991) ; Saint Kitts Music Festival (1997) ; Curaçao North Sea Jazz Festival (2010) ; Dominica World Creole Music Festival (1997) et Jamaica Reggae Sumfest (1993). On ne sait si ses auteurs (Nikki et Simon, deux touristes qui voyagent et racontent ce qu’ils ont vu) ont assisté à tous les festivals caribéens avant de faire ce choix ou s’ils ont reçu quelques cadeaux durant leurs séjours…
Ces festivals musicaux dits “commerciaux” invitent en général de grandes stars internationales (très souvent américaines) dans l’espoir d’assoeir leur renommée. Ce choix, évidemment, suppose de gros cachets donc des budgets très importants. Un savant mélange est opéré avec la présence d’artistes caribéens parfois mondialement connus (avec une rémunération également conséquente) et des artistes issus de l’île-organisatrice.
La concurrence entre les festivals musicaux peut être alors très rude et certains sont aujourd’hui au “cimetière des festivals”…
Guadeloupe et Martinique, des cibles de choix
Certaines îles anglophones mettent en place un véritable plan marketing pour vendre leurs festivals à l’étranger.
Parmi celles-ci, il y a la Dominique. En effet, chaque année “l’île aux 365 rivières” envoie ses délégations en Guadeloupe et en Martinique plusieurs mois à l’avance pour présenter lors de conférences de presse son World Creole Music Festival, créé en 1997. Ensuite, pendant des semaines, des médias dans les deux îles françaises diffusent des annonces publicitaires proposant des packages avec billets de transport, billets de concerts et chambres d’hôtel. Les organisateurs n’oublient pas d’inclure dans la programmation du festival des artistes guadeloupéens ou martiniquais ce qui constitue une raison supplémentaire pour se rendre à Roseau à la fin du mois d’Octobre. Par cette grande campagne de promotion, la Dominique qui est située entre ces deux îles françaises et qui est souvent confondue avec la République Dominicaine, espère également attirer sur son territoire les touristes séjournant en Guadeloupe et en Martinique.
Il faut dire que la Guadeloupe et la Martinique sont très convoitées dans la Caraïbe. Voici ce qu’écrivait en novembre 2016 la Société de Développement du Tourisme (Tourism Development Company Limited -TDC), chargée de développer et de commercialiser les produits touristiques par le gouvernement de Trinidad et de Tobago, après la visite de sa délégation dans les deux îles françaises : “La décision de cibler la Caraïbe française était basée sur plusieurs facteurs. La Martinique et la Guadeloupe rapportent un PIB par habitant plus élevé que presque toutes les autres économies de la région. Avec des populations de 386 000 et 403 000 respectivement, les résidents de ces îles possèdent un pouvoir de dépenser significatif (…)”
La rentabilité financière du festival
D’autres îles comme Sainte-Lucie mettent également sur pied des opérations de séduction en direction de ces Caribéens français. Ce fut le cas lors du célèbre Festival de Jazz et des Arts de Sainte-Lucie qui a reçu sur son podium de très nombreuses stars étasuniennes et qui avait un partenariat avec la chaîne américaine BET ce qui a contribué à sa renommée internationale. Le nouveau gouvernement élu en 2016 a revu à la baisse le budget du festival musical qui vient de se tenir du 12 au 14 mai et l’a inclus dans un événement plus large s’étalant jusqu’en novembre car les 5 ou 14 millions de dollars investis (on ne sait pas exactement combien) auparavant “n’étaient pas rentables”.
Le Festival de Musique de Saint-Kitts qui invite aussi des grandes vedettes américaines et des artistes caribéens a aussi tenté de se faire connaître des Guadeloupéens. Après le passage d’un membre du gouvernement de Saint-Kitts en Guadeloupe, l’an dernier, la télévision locale d’État (Guadeloupe 1ère) avait envoyé en juin une équipe de journalistes assister à l’événement pour une série de reportages.
Le mot a été prononcé plus haut : un festival doit être “rentable” et il faut aller chercher les festivaliers, les touristes là où ils se trouvent. La Dominique et Sainte-Lucie, par exemple, l’ont bien compris.
La Martinique est en train de changer de stratégie. Au cours d’une interview accordée à Kariculture.net sur le Martinique Jazz Festival, le directeur artistique nous confiait la volonté des organisateurs publics martiniquais d’améliorer la communication de leurs festivals au niveau national et international en partenariat notamment avec le Comité du Tourisme, les agences de voyages, des compagnies aériennes pour les faire “passer à un stade supérieur”, c’est-à-dire pour qu’ils soient plus connus et donc rentables.
Quant à Cuba, elle a créé une agence spécialisée appelée Paradiso qui est chargée de vendre ses festivals et autres événements culturels par packages aux touristes étrangers.
Des festivals guadeloupéens pour des Guadeloupéens
Force est de constater que la Guadeloupe n’a pas encore eu cette prise de conscience sur la question de la rentabilité des festivals.
S’il est vrai que l’archipel organise des événements culturels de qualité dont des festivals, il n’existe pas vraiment une politique de commercialisation à l’étranger pour les rentabiliser. En réalité, la Guadeloupe organise ses festivals et autres manifestations culturels pour les Guadeloupéens et tant mieux si des touristes présents dans l’île à ce moment-là veulent bien y assister… Comme disait récemment une Conseillère départementale à la radio au sujet de la manifestation culturelle “Fò An Fanmi” : “Nous étions 7 000 spectateurs l’an dernier, il faut que nous soyons 8 000 cette année!”. Bref, 8 000 Guadeloupéens.
Les subventions publiques (donc l’argent des Guadeloupéens) servent à organiser les festivals et les Guadeloupéens qui représentent la grande majorité des festivaliers payent une seconde fois. En résumé, l’argent des Guadeloupéens est simplement recyclé sur place et si le chiffre d’affaires de certains commerçants a augmenté, tout le monde est content…
Les campagnes publicitaires ciblent la population locale. Elles se font par l’intermédiaire des 3 principaux médias locaux traditionnels représentés par la radio-télévision d’État (Guadeloupe 1ère), la plus importante radio privée (RCI) et l’unique quotidien locale actuellement en grandes difficultés financières (France-Antilles). Les quelques chaînes de télévision privées et magazines d’actualités ramassent quelques miettes du budget publicitaire. Les nouveaux médias notamment les sites d’information sur internet comme Kariculture.net sont boycottés alors qu’ils ont une portée caribéenne, internationale.
Si cette préférence dans le choix des médias peut être comprise pour les promoteurs d’événements culturels privés, comment l’interpréter quand il s’agit des collectivités publiques notamment du Conseil Régional de la Guadeloupe qui prétend aimer les start-up ainsi que les moyens de communication modernes?
Une Guadeloupe méconnue dans la Caraïbe
Par ailleurs, des sommes astronomiques sont dépensées pour payer des vedettes étrangères et il n’existe aucune contrepartie pour la majorité des artistes guadeloupéens qui végètent alors dans l’île…
La Guadeloupe qui veut s’intégrer davantage dans le bassin caribéen croit qu’elle est très connue dans la Caraïbe parce qu’elle gère et “distribue” des fonds européens pour la coopération avec les îles voisines et qu’elle accueille sur son territoire des immigrés économiques originaires d’Haïti, de la République Dominicaine, de la Dominique etc. Mais la vérité c’est que notre île n’est pas connue de la grande majorité des Caribéens, souvent elle est même située au Mexique. Alors, quand on voyage dans la Caraïbe, il vaut mieux avoir une carte dans son sac pour montrer là où se trouve la Guadeloupe…
Il est clair que certains organisateurs oublient que, malgré leur niveau de vie plus bas que le nôtre, ces îles ont une classe moyenne, des personnes qui ont les moyens financiers de venir en Guadeloupe, d’assister à nos festivals ou nos grands événements culturels et nous connaître.
Parmi les plus anciens festivals de la Guadeloupe, on peut citer: le “Festival de Gwo ka” de Sainte-Anne qui fêtera en juillet prochain ses 30 ans. Très attendu, il y a encore quelques années, ce rendez-vous musical annuel est passé presque inaperçu l’an dernier alors que beaucoup pensaient que ses organisateurs allaient profiter de l’inscription du Gwo ka sur la Liste du Patrimoine Mondial en novembre 2014 pour le relancer. Le “Festival Terre de Blues” fêtera en juin ses 18 ans dans l’île de Marie-Galante. C’est un festival qui aurait déjà disparu sans les subventions publiques des 2 collectivités majeures de l’archipel (Conseil Régional et Conseil Départemental de la Guadeloupe). Quant au “Gwadloup Festival”, créé par l’ancienne équipe du Conseil Régional, il a été enterré depuis les nouvelles élections de 2016. Le “Festival International du Zouk” n’a jamais atteint la popularité qu’il mériterait alors que notre musique est jouée et dansée aux quatre coins de la planète.
Lorsque des festivaliers européens, américains ou caribéens achèteront leurs packages (voiture, chambre d’hôtel, restaurant, billets de concerts ou excursions) plusieurs mois à l’avance depuis leur pays, les festivals guadeloupéens auront fait un pas réel vers la célébrité et la rentabilité.
Pour cela, il faudrait changer les campagnes de promotion et changer de mentalité en Guadeloupe.