CATAPULT: un projet d’aide aux artistes jamaïcains avec des “miettes” pour les autres artistes caribéens

Connaissez-vous le projet Catapult? Les plus informés ont peut-être entendu parler de ce grand projet destiné à venir en aide aux artistes caribéens qui, nous le savons, sont touchés de plein fouet par l’épidémie de Covid-19. Mais beaucoup de gens, notamment les acteurs culturels en Guadeloupe ou en Martinique, n’en ont jamais entendu parler, de même que certains médias dans la Caraïbe française. Présenté comme un projet pour toute la Caraïbe, il a sélectionné au moins 96 (près de la moitié) acteurs culturels jamaïcains sur les 236 places disponibles.

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Kariculture a découvert ce projet tout-à-fait par hasard sur internet, en octobre dernier. Nous avons alors envoyé deux mails à l’association qui pilote ce projet, l’American Friends of Jamaica (AFJ), basée à New York, pour obtenir le bilan de ce projet puisque nous étions en retard sur sa mise en place commencée depuis déjà deux mois, mais nous n’avons reçu aucune réponse.

Nous avons ensuite contacté la plateforme Fresh Milk Art, basée à Barbade, qui fait partie de ce vaste projet artistique et qui nous a envoyé, la semaine dernière, quelques informations que nous aurions préféré recevoir beaucoup plus tôt pour les diffuser au plus grand nombre d’artistes caribéens.

Nous ignorons, pour le moment, comment la promotion de ce projet a été faite dans les autres territoires caribéens. Cependant, nous savons qu’en Guadeloupe où est basé le webmagazine Kariculture, spécialisé dans la culture caribéenne, très peu de personnes étaient au courant du lancement de ce projet. Parmi les personnes informées, il y a la critique d’art Nathalie Hainaut que nous avons interrogé et qui nous a dit avoir envoyé des coordonnées de certains médias locaux à Annalee Davis, directrice de Fresh Milk à Barbade. Donc, pourquoi n’avons-nous reçu aucun communiqué de presse? Kariculture est joignable par diverses façons notamment par son adresse “contact” qui figure sur le site et par les réseaux sociaux donc si l’on veut nous envoyer une information, on y arrive. Cette professionnelle de l’art nous a dit avoir informé les artistes sur le lancement de ce projet par les réseaux sociaux alors pourquoi beaucoup d’artistes en Guadeloupe ignorent ce qu’est Catapult?

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Une rétention d’information?

Nous ne savons pas combien de professionnels de la culture (critiques d’art, directeurs culturels, associations artistiques etc.) étaient au courant de ce projet ici en Guadeloupe mais s’il se trouve qu’il y a eu une rétention d’information afin de promouvoir uniquement certains artistes locaux jugés plus “aptes” à participer à ce projet et d’empêcher à un grand nombre d’artistes de faire acte de candidature alors c’est très grave.

La barrière de la langue, la non-maîtrise de l’anglais plus particulièrement, peut être un frein pour nos artistes français de la Caraïbe mais, si ces derniers veulent intégrer ces réseaux déjà bien établis et veulent être considérés comme des Caribéens à part entière, il faut qu’ils n’hésitent pas à prendre part à ces différents projets. Précisons que le projet Catapult était en 4 langues: anglais, français, espagnol et néerlandais.

Par ailleurs, certains artistes en Guadeloupe et Martinique qui ont une carrière établie et qui sont déjà dans les circuits internationaux n’ont eu aucun mal à être informés du projet Catapult mais s’ils avaient pu diffuser l’information auprès de leurs collègues, c’est tout le monde artistique franco-caribéen qui serait renforcé.

Nous n’avons reçu aucune réponse de l’AFJ mais cet organisme et tous les autres doivent savoir que, lorsqu’ils montent des projets pour solliciter des fonds au nom des artistes français de la Caraïbe, ces derniers doivent y prendre part et les médias qui sont aussi des relais dans ces territoires doivent en être informés correctement. L’impression que nous avons à Kariculture, c’est que nos artistes ont été “oubliés”, peut-être que certains ici ou ailleurs considèrent que, parce qu’ils ont la nationalité française ainsi que la citoyenneté européenne, ils ne sont pas autant dans le besoin que les autres artistes caribéens…

Cette mise au point étant faite, il est temps de savoir ce qu’était exactement ce projet Catapult.

Au mois d’août dernier, l’Open Society Foundations a accordé un fonds de 320 000 dollars US à l’American Friends of Jamaica, en collaboration avec Kingston Creative et The Fresh Milk Platform pour venir en aide aux artistes, créateurs ou praticiens de la culture dans toute la Caraïbe, (toutes langues confondues) pour faire face aux conséquences du Covid-19 sur leurs activités.

Ainsi, 34 pays de la zone Caraïbe ont été répertoriés: Anguille, Antigue & Barbude, Aruba, Bahamas, Barbade, Bélize, Bermudes, Bonaire, Îles Vierges Britanniques, Îles Vierges des États-Unis, Îles Turques & Caïques, Îles Caïmans, Curaçao, Dominique, République Dominicaine, Guyane française, Grenade, Guadeloupe, Guyana, Haïti, Jamaïque, Martinique, Montserrat, Porto Rico, Saba, Saint-Barthélemy, Saint-Eustache, Saint-Kitts & Névis, Saint-Martin, Sint Maarten, Saint-Vincent & Les Grenadines, Sainte-Lucie, Suriname et Trinidad & Tobago. Et un certain nombre d’artistes caribéens ont donc été sélectionnés.

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Les 6 programmes de Catapult

Catapult se composait de 6 grands programmes destinés à 236 artistes, créateurs ou acteurs culturels.

1-Le programme Vitrine d’Artistes de la Caraïbe avait comme objectif de maintenir ou d’améliorer la visibilité des artistes en permettant à un public mondial de les connaître et de les soutenir pendant cette période. Les oeuvres choisies devaient être publiées sur les plateformes Catapult, entre autres. 40 artistes, créateurs ou acteurs culturels devaient être choisis et chacun devait recevoir une subvention de 500 dollars US, la date limite étant fixé au 15 septembre 2020.

2-Pour le programme Créateurs Caribéens en Ligne, les artistes devaient enregistrer ou diffuser en direct une performance, une conférence, un webinaire, un atelier ou toute autre activité d’une durée de 10 à 60 minutes dans leur langue maternelle. 100 artistes devaient être sélectionnés et devaient recevoir une subvention de 500 dollars US. La promotion devait être faite via les plateformes de Catapult. La date limite d’inscription était le 1er septembre 2020.

3-Le programme Bons de Consultation était conçu pour fournir une expertise professionnelle aux artistes, créateurs ou acteurs culturels, afin qu’ils mettent en place un site web, des plateformes sur les réseaux sociaux ou un commerce électronique. 40 artistes devaient être sélectionnés et recevoir un bon de 500 dollars US à utiliser pour le développement de ces travaux. La date limite était le 8 septembre 2020.

4-Quant au programme Formation créative numérique, il a commencé le 24 août 2020. Il s’agissait d’ateliers numériques gratuits en ligne pour aider les artistes à développer leurs connaissances numériques et des compétences commerciales. Il n’y a pas eu de sélection, il suffisait de s’inscrire aux sessions dispensées en néerlandais, anglais, français et espagnol. Les places étant attribuées sur la base du premier arrivé, premier servi.

5-En ce qui concerne le programme Salon Virtuel de Confinement, il visait à atténuer l’isolement des artistes par une conversation orale (après une préparation) pendant 1heure diffusée en direct depuis son domicile ou son studio. 32 acteurs culturels devaient être sélectionnés et recevoir une allocation de 500 dollars US; la date limite pour postuler était fixée au 21 août dernier. Les salons étaient programmés entre le 21 septembre et le 13 novembre 2020.

6-Enfin, le programme de Résidence d’Artiste à Domicile offrait la possibilité à 24 acteurs culturels d’être soutenus tout en restant dans leurs studios ou espaces de travail. Chacun devait recevoir une allocation de 3 000 dollars US (soit 1 500 dollars US par mois) pour produire des oeuvres pendant 2 mois. Les résidences d’une durée de 8 semaines devaient se dérouler de manière échelonnée d’août à novembre 2020 à savoir, groupe 1: du 21 septembre au 13 novembre 2020; groupe 2: du 5 octobre au 27 novembre 2020; groupe 3: du 19 octobre au 11 décembre 2020. La date limite de candidature était le 21 août 2020.

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Au moins 96 artistes jamaïcains sélectionnés pour 236 places disponibles

Comme nous le voyons, le projet Catapult est un important projet pour les artistes, créateurs ou acteurs culturels originaires de la Caraïbe insulaire et continentale y compris des Bermudes.

Les subventions accordées devaient également encourager la création et la diffusion en ligne de travaux qui mettent en évidence des questions liées à “la culture, aux droits de l’homme, au genre, à la communauté LGBTQIA+ et à la justice climatique, des thèmes qui sont si pertinents pour la région”, selon les organisateurs.

Le 8 octobre, un communiqué de presse émanant de Kingston Creative que nous n’avons eu que maintenant annonçait 405 candidatures pour 236 places, 215 lauréats avaient obtenu une subvention et 960 personnes s’étaient inscrites au programme Formation créative numérique ce qui donnait un total de 1 175 acteurs culturels concernés par le projet Catapult et originaires de 25 pays caribéens.

En Guadeloupe, les rares médias (2) qui ont parlé de Catapult ont publié les informations de ce communiqué de presse du mois d’octobre c’est-à-dire après les délais de promotion, d’inscription et de sélection.

Après un rapide calcul, nous notons que le nombre d’artistes, de créateurs ou d’acteurs culturels jamaïcains ayant été sélectionnés et ayant obtenu une bourse est de 96 sur les 215 des places proposées par le projet Catapult (soit près de la moitié du total). Précisons que, comme il est écrit sur les documents du projet, les artistes ont été “sélectionnées dans la Caraïbe anglophone, francophone, hispanophone et néerlandophone par un jury régional indépendant”

Par ailleurs, on ne serait pas étonné que, parmi les 960 personnes inscrites au programme Formation Créative Numérique, beaucoup soient originaires de la Jamaïque…

Concernant la Caraïbe française, nous avons appris que Johanna Auguiac-Célénice (Martinique) et Richard-Victor Sainsily-Cayol (Guadeloupe) ont participé au programme Salon virtuel de confinement.

Kamun Social Artist, Damien Jélaine, Geordy Zodidat Alexis (Guadeloupe) et Aurélie Chantélie (Martinique) ont été sélectionnés pour le programme Créateurs caribéens en ligne.

Gwladys Gambie (Martinique) et Kelly Sinnapah Mary (Guadeloupe) ont été retenues pour le programme Résidence d’artiste à domicile. Les deux autres îles françaises, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ne figurent pas dans ce projet, d’après les documents que nous avons consultés.

Devons-nous nous satisfaire de ces quelques noms? Non, car ils sont trop nombreux les artistes, créateurs ou acteurs culturels franco-caribéens à se plaindre d’être informés de ce type de projet uniquement à la clôture des inscriptions ou après leur réalisation…