Office du Carnaval de Guadeloupe: à quoi sert ce “machin” ou “biten”?

Dimanche Gras à Pointe-à-Pitre en 2020 - Photo: Évelyne Chaville

Depuis quelque temps, on voit l’actuel président de l’Office du Carnaval de Guadeloupe (OCG) “s’agiter” dans les médias. Il faut dire que pendant cette crise sanitaire, nombreux sont ceux qui ont besoin de réponses notamment quant à l’annulation de l’édition 2021 du carnaval. Mais, précisons que si le représentant cet organisme “s’agite”, il préfère s’agiter dans les “grands médias” sûrement parce qu’il considère que sa parole est très écoutée et que l’Office du Carnaval de Guadeloupe est une instance qui compte vraiment dans l’organisation du carnaval dans l’archipel.

Le 20 novembre 2020, notre webmagazine, Kariculture, a adressé une demande d’informations à cet office dont le siège se trouve à Basse-Terre. Nous voulions connaître : la composition du conseil d’administration ; les différentes actions (par exemple: conférences-débats, expositions, voyages de promotion du carnaval de Guadeloupe à l’étranger, réunions avec tous les groupes ou groupements de carnaval etc.) menées par l’OCG durant l’année 2020 ainsi que le montant de la subvention allouée chaque année par la Région Guadeloupe.

La chargée de mission nous a d’abord répondu que nous pouvions obtenir la composition du CA et le montant de la subvention de l’OCG mais que parmi les actions que nous énumérions, aucune n’avait été réalisée. Puis, comme si elle avait trop parlé, cette personne nous a demandé ce que nous allions faire de ces renseignements, nous lui avons répété qu’il s’agissait de rédiger un article afin de présenter l’office et son rôle dans le carnaval guadeloupéen. Nous lui avons dit que nous lui envoyons également un mail.

Cinq minutes plus tard, nous l’avons rappelée pour vérifier si elle l’avait bien reçu, cette jeune femme n’a jamais répondu. Nous lui avons téléphoné plusieurs fois, elle n’a jamais décroché et notre mail n’a jamais obtenu une réponse. Nous supposons que quelqu’un lui a demandé d’ignorer notre demande…

Aujourd’hui, cette réaction étonnante nous pousse à nous interroger davantage sur ce fameux Office du Carnaval de Guadeloupe. Nous nous demandons que peut cacher l’OCG? À part son inutilité, nous ne voyons pas vraiment. En effet, une chose est certaine : malgré ce titre un peu pompeux, ce bureau ne sert à rien et n’a jamais servi à rien dans la gestion concrète du carnaval en Guadeloupe.

La création de l’OCG s’est faite, en 2008, sous la mandature de l’ancien président du Conseil régional. Il s’agissait de fédérer, rassembler, organiser et même professionnaliser le carnaval de Guadeloupe, ce qui était à la base une excellente décision. Mais, on s’est vite rendu compte que certains utilisaient cet office pour faire leur entrée en politique. Aujourd’hui, comme pour se donner bonne conscience, ces mêmes personnes se montrent volontiers devant les caméras de télévision pour citer des chiffres astronomiques que générerait soi-disant dans notre économie le carnaval de Guadeloupe qui n’est aucunement une “industrie” – comme c’est le cas dans toutes les îles de la Caraïbe – mais une “tradition”, un “amusement”, un “voyé-monté”, un “remède” (bref, tout ce que l’on veut!) pour les carnavaliers et le public. Rappelons que le Tour cycliste international de la Guadeloupe et le carnaval de Guadeloupe sont les deux événements les plus populaires de l’archipel. La saison carnavalesque permet aussi à quelques petits commerçants et artisans d’augmenter leurs chiffres d’affaires.

En outre, à la création de cet office, d’autres voulaient y faire embaucher le rejeton d’un ami politique qui ne connaissait pas grand-chose sur le carnaval mais il avait fait des études et il présentait bien…

On peut aussi se poser des questions quant à la composition du conseil d’administration. Certains groupes interrogés disent qu’ils ne se sont jamais sentis représentés au sein de cette instance, certaines fédérations affirment qu’elles “font leurs affaires” et n’ont pas besoin de l’aval de l’OCG. D’ailleurs, si l’OCG était vraiment l’instance représentative et le porte-parole de tous les groupes et toutes les fédérations, il aurait été reçu tout seul par le Préfet de Guadeloupe après l’annulation du carnaval 2021. D’après nos informations, il y a bien eu une tentative de l’OCG d’aller représenter les groupes et fédérations mais lorsque le Préfet a été informé que la contestation de sa décision viendrait plutôt des “groupes à peau”, il les a convoqués à une réunion. Les membres de l’OCG ont presque supplié ces “groupes à peau” de leur faire une petite place autour de la table avec le représentant de l’État ; certaines de leurs propositions ont été effacées ou modifiées dans cette fameuse Charte des répétitions et entraînements carnavalesques en temps de Covid-19, publiée le 15 janvier dernier par la Préfecture de Guadeloupe.

Carnaval de Guadeloupe-Photo 47

Autre grief fait à l’OCG : il comporterait des membres carrément “fossilisés”. Si ces derniers ont participé au carnaval par le passé, ils n’y sont plus et on ne comprend pas pourquoi ils ne cèdent pas leur place à d’autres carnavaliers qui peuvent apporter des idées nouvelles, du sang neuf à l’association.

Le montant exact de la subvention régionale allouée à l’OCG ne nous a pas été communiqué mais, selon certains présidents de groupes, il dépasserait les 100 000 euros (nous n’avons pas réussi à vérifier cette information).

Cependant, la question centrale est : à quoi sert l’Office du Carnaval de Guadeloupe, à quoi sert ce “machin“, à quoi sert ce “biten”?

Lors des défilés – notamment celui du Dimanche Gras à Pointe-à-Pitre – on a toujours vu ses présidents successifs monter et descendre dans les rues, accorder des interviews, parader comme des chars comme pour montrer qu’ils étaient aux manettes de quelque chose. Mais le reste du temps que fait réellement l’OCG? De quelles “missions” est chargée l’unique employée de la structure? Elle-même nous a répondu, en novembre dernier, qu’il n’existe aucun rapport des différentes actions conduites par l’OCG.

Dans son “agitation”, son actuel président, en novembre dernier a déclaré à un hebdomadaire local qu’il voulait pousser la réflexion sur l’âge avancé des carnavaliers et, le samedi 16 janvier dernier dans le JT de la télévision nationale, il déclarait que ces carnavaliers n’auraient plus les moyens d’investir 900 € dans un costume à cause de la crise du Covid-19 et ses répercussions économiques et sociales. On pourrait lui rétorquer : pourquoi l’OCG n’organise-t-il pas une conférence-débat en ligne sur ces deux sujets et bien d’autres encore avec tous les groupes de carnaval de l’archipel et le public? Pour sa part, un représentant des “groupes à peau” nous a dit qu’il y a eu, l’an dernier, une web-conférence proposée par l’office mais qu’il n’y a pas participé. Si la chargée de mission de l’OCG ne cite même pas cette manifestation, cela signifie-t-il qu’aucun groupe ou qu’aucune fédération n’a répondu à cette invitation?

Alors, pourquoi ne pas élargir les “missions” de l’OCG? Pourquoi ne pas nouer des liens avec les îles de la Caraïbe pour des échanges lors des prochains défilés et séminaires, entre autres? Certains carnavaliers guadeloupéens adorent les séjours “Tout compris” dans les hôtels de la Caraïbe pour se reposer après les parades organisées pendant plusieurs semaines dans l’archipel. Si les membres de l’OCG et d’autres fédérations carnavalesques séjournent chez nos voisins caribéens – par exemple Sainte-Lucie, une île parmi tant d’autres qui célèbre un beau carnaval – ils ont la possibilité de rencontrer leurs homologues de là-bas et développer cette coopération culturelle. C’est juste une idée…

Pourquoi ne pas confier également à l’OCG la collecte et l’enregistrement des dossiers de demande de subventions faites par les groupes? En fait, il y a plusieurs tâches qui pourraient être déléguées à cette association qui, depuis sa création il y a 12 ans, a toujours été une coquille vide.

Par ailleurs, aujourd’hui, on connaît l’importance du numérique, le site internet étant comme la devanture d’une boutique. On est étonné de constater que la rubrique “Présentation de l’OCG”, rédigée le 27 novembre 2015, cite un ancien président, parti depuis plusieurs années, comme actuel président ; l’ancien dirigeant en question a-t-il voulu laisser son empreinte dans la structure ou le nouveau dirigeant ne veut-il pas prendre toutes ses responsabilités? Dans la rubrique “Fonds documentaires”, on ne trouve que quelques articles sur papier du quotidien local alors que nous sommes au 21e siècle et qu’il existe également des articles en ligne sur le carnaval de Guadeloupe. De plus, il est impossible de visualiser photos et vidéos… On ne peut pas dire que l’OCG n’a pas les moyens financiers pour réactualiser ses informations et faire la maintenance de son portail internet…

En fait, pour comprendre le rôle de l’OCG, on doit d’abord s’interroger sur les raisons exactes de sa création en 2008. À l’époque, a-t-on commencé la maison par le toit? Ce qui est sûr, c’est que cet office aurait pu avoir un rôle centralisateur important si le carnaval de Guadeloupe était une “industrie”. Dans les îles caribéennes, c’est le cas et il existe un “Bureau du Carnaval”, comme celui de Saint-Kitts & Névis qui est administré par une “Directrice du Carnaval” qui a orchestré toute l’organisation digitalisée du “Sugar Mas” en fin 2020.

En Guadeloupe, les fédérations et les groupes sont “libres”, à l’instar des “groupes à peau” qui font le circuit qu’ils veulent lors des défilés. Finalement, on a l’Office du Carnaval de la Guadeloupe que l’on mérite…

*Biten (créole) : Chose

Guadeloupe Dimanche Gras 2020-90