Deux Cubains prédisent ce que sera le monde après le coronavirus dans un livre

Il y a un monde après le coronavirus et nous nous demandons tous comment il sera entre spéculations et certitudes. Un livre récemment publié semble apporter des réponses à de nombreuses questions collectives que la moitié du monde se pose pendant cette pandémie.

De ses deux auteurs cubains, l’écrivain et journaliste Félix Lopez, et le peintre et caricaturiste Aristides Hernandez “Ares”, est né “El Mundo después del Coronavirus” (Le Monde après le Coronavirus), un recueil de vingt histoires et 45 caricatures en 152 pages.

Kariculture.net s’est entretenu via Whatsapp avec M. López qui, depuis son confinement en Espagne, nous raconte la naissance de ce texte, qui “n’est ni un journal de quarantaine, ni un traité médical sur la pandémie, mais un livre d’opinion journalistique”, précise-t-il.

El Mundo después del Coronavirus 1 - primera edición 1

Kariculture.net : Comment est née l’idée du livre ?

Félix López : Je dis toujours que c’est l’œuvre du temps et du hasard. Du temps, car la quarantaine a ouvert un espace infini pour la création. Du hasard, car la rencontre avec Ares, le co-auteur du livre, a été presque fortuite.

Début avril, alors que le coronavirus était déjà catastrophique en Espagne, j’étais sur une plage isolée en Andalousie, au bord de la Méditerranée, en train d’écrire un roman que je souhaite terminer cette année. Mais un jour, j’ai été réveillé par le journaliste qui m’accompagne partout et qui m’a poussé à écrire sur le sombre scénario qui m’entourait. C’est ainsi que j’ai commencé à télécharger chaque dimanche un texte sur le mur Facebook, que j’ai classé dans la catégorie “Perceptions virales”.

J’ai immédiatement réalisé qu’Ares était en train de faire quelque chose de similaire mais avec des caricatures, alors je lui ai écrit et lui ai demandé un de ses dessins pour illustrer mon travail. Il a répondu et m’a offert plus qu’une caricature : c’est Ares qui m’a invité à faire un livre à deux. Le lendemain, le projet du Monde après le Coronavirus était déjà là.

El Mundo después del Coronavirus 2 - FÉLIX LÓPEZ
L’écrivain et journaliste cubain Félix López

Kariculture.net : N’est-il pas un peu tôt pour parler de ce que sera un monde après une pandémie qui n’est pas encore terminée ?

F.L. : L’une des valeurs du livre est qu’il est dans la rue avec la pandémie en plein essor. Ares et moi savons que lorsque la pandémie sera passée, le monde sera inondé de livres sur le coronavirus et que les lecteurs seront tellement épuisés par cette longue quarantaine qu’ils auront besoin de lire d’autres choses. Nous avons donc dit : “C’est maintenant ou jamais”.

Il y a beaucoup de gens qui attendent un vaccin, nous offrons une immunisation de l’âme. C’est ce dont parlent les livres. Ils sont une sorte de médecine spirituelle contre la désinformation et l’ignorance. Il est vrai que la pandémie fait toujours rage en Amérique du Nord et en Amérique latine, qui sont maintenant l’épicentre du coronavirus. Mais il existe une liste de problèmes et de questions qui font partie des préoccupations récurrentes des gens dans le monde entier et qui peuvent déjà être abordés. Nombreux sont ceux qui cherchent désespérément des réponses au dilemme existentiel qui les a piégés.

La nature nous a donné un dernier avertissement et s’est chargée de nous montrer à quel point la vie est éphémère et fragile, surtout lorsque nous parcourons le monde sans nous soucier de l’environnement, des bonnes manières et des valeurs ancestrales qui ont été oubliées par l’homme.

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Kariculture.net : Quels sont les sujets abordés dans le livre ?

F.L. : La première chose qu’Ares et moi avons faite a été d’identifier une vingtaine de sujets liés aux préoccupations récurrentes dans n’importe quel pays du monde. C’est ainsi que nous avons commencé à écrire sur l’environnement, sur les finances des ménages et des nations, sur les 175 millions d’emplois qui ont été perdus et qui activent cette autre pandémie stationnaire qu’est la faim, sur les effets de la quarantaine et sur les mythes qui s’effondrent aux yeux du monde.

Nous avons également consacré de l’espace à la gestion par les politiciens de la crise mondiale, au rôle des médias qui nous ont informés et trompés à parts égales, ainsi qu’à l’utilisation de tous les outils de communication qui se sont développés au cours de ce siècle et à ce que nous appelons aujourd’hui la “révolution numérique”.

Nous n’oublions pas ces grands-parents qui sont nés en pleine guerre et qui ont été emportés par une pandémie, les enfants qui ont vécu cette horreur qui nous semblait impossible ainsi que les médecins et le personnel de santé qui ont tout risqué pour l’humanité.

Ce sont les médecins et la plupart des artistes et intellectuels qui ont changé le visage du malheur. Les premiers ont mérité les applaudissements qui n’étaient autrefois que le privilège des riches footballeurs, les seconds sont devenus la médecine spirituelle du peuple, prouvant que les paroles de Victor Hugo étaient vraies : “ce ne sont pas les machines qui font bouger le monde, mais les idées”.

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Kariculture.net : Comment s’est déroulé le processus créatif ? Y a-t-il eu un accord préalable sur les thèmes ?

F.L. : Nous avons choisi les thèmes et chacun a donné son avis sur ceux-ci de la façon dont il sait le faire : l’un avec la caricature et l’autre avec le mot. Bien sûr, il y a une affinité culturelle, éthique et conceptuelle entre Ares et moi, de sorte que, même si chacun a fait son propre travail seul, les caricatures et les textes s’embrassent de manière unique.

Bien que séparés par sept mille kilomètres, moi en Andalousie et Ares à La Havane, la révolution numérique nous a permis de vivre le processus créatif du livre, connectés comme si nous étions dans la rédaction d’un journal.

Pendant un peu plus d’un mois, nous avons parlé plusieurs fois par jour. Et de chaque discussion, une nouvelle idée émergeait, ou on perfectionnait ce que nous avions laissé derrière nous.

El Mundo después del Coronavirus 5 - ARES
Le peintre et caricaturiste cubain Aristides Hernandez “Ares”

Kariculture.net : C’est la première fois que tu travailles avec Ares ?

F.L. : C’est la première fois que nous travaillons ensemble en plein milieu d’une pandémie ou d’une quarantaine. Ares et moi nous sommes rencontrés il y a 25 ans à la rédaction de Juventud Rebelde, un journal cubain. Nous y sommes arrivés presque ensemble, il était un médecin psychiatre et voulait être caricaturiste et j’étais un fou qui voulait devenir écrivain.

En un quart de siècle, Ares est devenu l’un des artistes de la caricature les plus primés d’Amérique latine. Ainsi, chaque projet que tu démarres avec lui est destiné à une réussite totale. Si tu y ajoutes le don des gens et les bonnes vibrations qui l’accompagnent, alors tu te sentiras deux fois plus à l’aise en travaillant avec Ares.

Il y a au moins deux autres de mes livres qui sont illustrés avec des caricatures d’Ares : Los guardianes del periodismo pornográfico et Escualilandia, tous deux édités au Venezuela. Cette rencontre a été un plaisir et elle se classe comme le meilleure de la quarantaine, après le temps consacré à la famille.

El Mundo después del Coronavirus 6 - GRAN PRIX UYAAC 2020
Grand Prix du Concours International UYAAC 2020 Anti-coronavirus, en Chine

Kariculture.net : La caricature d’Ares qui vient de gagner un prix est-elle incluse dans le livre ?

F.L. : Oui, c’est la caricature qui accompagne le chapitre intitulé “Les super-héros existent”. Et c’est celui qui est dédié aux médecins et aux professionnels de santé du monde entier.

Le livre sent encore l’encre fraîche et cette caricature a déjà remporté le Grand Prix du Concours International UYAAC 2020 Anti-coronavirus, en Chine. Mais je peux t’assurer qu’à l’avenir toutes les caricatures du livre gagneront d’autres prix, d’autres concours ou arracheront simplement une réflexion ou un sourire aux lecteurs.

El Mundo después del Coronavirus 7

Kariculture.net : Tu me dis qu’il y a 25 ans, jeune journaliste, tu voulais être écrivain. Quand et comment ta vocation littéraire s’est-elle éveillée en toi ?

F.L. : Un jour, j’en ai eu assez que d’autres éditent mes textes journalistiques. Parfois, des gens médiocres qui ne savent même pas expliquer pourquoi ils ont mutilé une opinion personnelle. J’ai décidé que je serais mon propre éditeur et je suis resté seul avec l’ordinateur, loin des rédactions. Cela a été un processus difficile, mais j’ai compris plus tard que j’avais sauvé le journaliste pour toujours et ouvert les fenêtres sur un autre horizon de création.

Cette pandémie, par exemple, nous a montré à quel point la vie est fragile. Elle nous a donné un message : s’accrocher à ce qui n’est pas bien, si on peut être heureux sans grandes prétentions.

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Kariculture.net : Penses-tu que, dans ton cas, il y a un certain lien entre ta profession et les thématiques que tu développes dans tes récits ?

F.L. : Lien total. Mes récits sont basés sur la réalité. Le roman historique et le journalisme vont de pair dans beaucoup de choses. La façon dont tu enquêtes, affrontes la réalité et appuies sur les besoins spirituels des gens…

Un journaliste sait qu’il a besoin d’un lecteur. C’est un avantage dont mes collègues ne profitent pas toujours. Nous sommes privilégiés et, souvent, nous ne nous en rendons pas compte.

El Mundo después del Coronavirus 9 -Arte Cubano, segunda edición

Kariculture.net : Comment Le Monde après le Coronavirus a-t-il été reçu par les lecteurs ?

F.L. : Imagine que tu attends désespérément un vaccin salvateur et deux types apparaissent et t’apportent un livre qui prétend être un vaccin pour l’âme. De très belles choses se passent pour nous. Des gens qui écrivent depuis des endroits où nous ne sommes jamais allés pour dire “je lis le livre”, ou simplement “merci”. La plus grande joie a été précisément d’atteindre les gens au milieu du malheur.

El Mundo después del Coronavirus 10 - Arte Cubano, segunda edición

Kariculture.net : Où peut-on acheter le livre ?

F.L. : Le Monde après le Coronavirus a été publié en un temps record par la maison d’édition espagnole Samarcanda-Lantia Publishing et par Arte Cubano, dans une édition spéciale pour l’île.

Il est disponible en version papier sur Libros.cc, Amazon et dans les librairies en Espagne. En format numérique, il se trouve sur El Corte Inglés, Casa del Libro, EbookGoogle et Tagus.

À Cuba, dès que la “nouvelle normalité” le permettra, une présentation de l’édition cubaine sera faite, ainsi que l’exposition d’Ares, composée d’environ 45 caricatures.

En août, nous serons à l’Unesco avec l’Expo d’Ares et la présentation du livre.