Quand le Covid-19 malmène le carnaval des îles de la Caraïbe et donc leur économie…

Les "Masques de Vieux-Fort" ou "Mas Vyéfò" de Guadeloupe à Montserrat en mars 2018 - Photo: Mas Vyéfò

Le carnaval caribéen est en grande souffrance et c’est une situation plutôt rare. En effet, même pendant l’esclavage, les hommes et les femmes déshumanisés profitaient de ces moments exceptionnels de festoiement. Par exemple, le carnaval des Bahamas appelé Junkanoo serait né au 18e siècle quand les maîtres accordaient aux esclaves africains trois jours de congé à Noël et au Jour de l’An, ces derniers se déguisaient, jouaient du tambour, portaient des masques et allaient de case en case de 2h00 du matin à 15h00, le jour suivant…

De même que, pendant les deux guerres mondiales, les Caribéens n’ont pas abandonné cette tradition ancestrale. En Guadeloupe par exemple, de nombreux hommes étant partis défendre la mère patrie, la France, les femmes ont continué à faire vivre les Masques de Vieux-Fort ou “Mas Vyéfò en portant les masques qui étaient jusque-là réservés aux hommes; le carnaval de cette petite commune du Sud Basse-Terre avec ses propres particularités qui mériteraient d’être mieux connues est le plus ancien de l’archipel guadeloupéen…

Plus récemment, en septembre 2017, les violents cyclones Irma et Maria, telles des bombes atomiques, ont rasé plusieurs îles caribéennes. Alors que beaucoup de résidents étrangers se sont enfuis, les Caribéens résilients ont affronté ces nouvelles catastrophes naturelles et, quelques mois plus tard, les îles les plus touchées (Dominique, Îles Vierges des États-Unis, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Porto Rico etc.) ont malgré tout célébré leur carnaval… Ne dit-on pas que la souffrance favorise souvent la créativité artistique?

Mais, cette fois-ci, il faut le reconnaître, quoique très petit voire insignifiant, l’ennemi appelé SARS-COV2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 / coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère) qui donne le Covid-19 (coronavirus disease 2019 / maladie du coronavirus 2019) est très redoutable.

Comment faire pour organiser le carnaval qui suppose de se rassembler pour communier ensemble dans la joie alors que ce virus préfère la séparation et la distance? Ne pas respecter ses “injonctions”, c’est courir le risque de tomber malade et de perdre la vie…

Des annulations de carnavals en cascade

Pour ceux qui l’ignorent, toutes les îles de la Caraïbe ont leur propre carnaval mais toutes ne le célèbrent pas à la même date. On peut dire que pour cette année 2020, les îles ayant fixé leurs activités carnavalesques durant la période traditionnelle qui va de janvier au Carême (Dimanche Gras, Mardi Gras ou Mercredi des Cendres) – c’est à dire Aruba, Bonaire, Carriacou (Grenade), Curaçao, Dominique, Guadeloupe, Haïti, Martinique, Porto Rico (ville de Ponce), République Dominicaine, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Trinidad & Tobago – ont eu vraiment de la chance. Elles ont, en effet, échappé à toutes les restrictions imposées par l’épidémie de Covid-19 qui s’est abattue sur le monde depuis neuf longs mois déjà. Elles ont sauvé, de justesse, cette manne financière que leur apportent ces réjouissances populaires.

Toutes les autres îles, (c’est-à-dire la très grande majorité), qui ont fixé leur carnaval après Pâques avec des dates différentes pour des raisons historiques, économiques comme pour ne pas se concurrencer, sociales ou religieuses ont été contraintes d’annuler les festivités rassemblant les foules.

Il s’agit chronologiquement de: la Jamaïque (Février-Avril ou du dimanche de Pâques au week-end suivant), des Îles Vierges Britanniques/Virgin Gorda (Avril), des Îles Vierges des États-Unis/Saint-Thomas (Avril-Mai), de Sint Maarten (Avril-Mai), des Îles Caïmans (Avril-Mai), des Îles Vierges des États-Unis/Saint-John (Juin-Juillet), de Sainte-Lucie (Juin-Juillet), de Saint-Vincent (Juin-Juillet), de Cuba, ville de Santiago de Cuba (Juillet), de Saint-Eustache (Juillet), de Saba (Juillet-Août), des Îles Vierges Britanniques/Tortola (Juillet-Août), d’Antigue & Barbuda (Juillet-Août), de la Grenade (Juillet-Août), de la Barbade (Juillet-Août), d’Anguille (Août), de Saint-Kitts & Névis (Novembre-Janvier), des Îles Turques & Caïques (Décembre), de Montserrat (Décembre-Janvier), des Îles Vierges des États-Unis/Sainte-Croix (Décembre-Janvier) et des Bahamas (décembre-janvier).

Même si certains territoires tentent de faire de la résistance – comme les îles Vierges des États-Unis en mai dernier, Saint-Kitts & Névis maintenant en ce mois de novembre ou Montserrat en décembre prochain – en mettant en place des manifestations qui seront retransmises à la radio, à la télévision ou sur des réseaux sociaux, l’essence ou l’esprit du carnaval qui consiste à communier ensemble physiquement, donc sans aucun écran servant d’intermédiaire, est absent.

Organiser ce carnaval numérique suppose que les îles aient défini au préalable des objectifs à atteindre. Le premier, en général, est de promouvoir l’événement dans le but d’attirer des visiteurs quand la vie reprendra son cours normal.

Des secteurs économiques à genoux

Dans presque toutes les îles caribéennes, le carnaval est un moment de liesse populaire mais également une industrie, les décideurs y investissent mais il doit rapporter de l’argent au pays. Le carnaval numérique est une première dans le monde et si tous les territoires caribéens ne l’ont pas adopté, c’est parce qu’ils ne sont pas sûrs qu’il rapporte financièrement; par ailleurs, ces moyens techniques ont un coût très élevé.

Cela signifie qu’il est hors de question de filmer des groupes carnavalesques juste parce que ces derniers veulent revendiquer une quelconque indépendance d’esprit et que la facture soit payée par les pouvoirs publics qui auraient pu dépenser cet argent pour venir en aide aux milliers de chômeurs que le Covid-19 laisse, chaque jour, sur le carreau…

Dans la Caraïbe, le carnaval fait vivre plusieurs secteurs de l’économie, depuis les compagnies aériennes et les hôtels qui transportent et logent les touristes venus expressément pour participer à l’événement en passant par les restaurants, les loueurs de voitures, les couturiers et designers pour arriver aux marchands de tissus, de pistaches grillées, de noix de coco, de sorbets etc.

En provoquant l’annulation de cet événement culturel majeur en 2020, le coronavirus a donc entraîné une perte de revenus très conséquente dans plusieurs corps de métier. C’est d’ailleurs ce que nous a dit la directrice de Bacchanal Jamaica, lors d’une interview en octobre dernier; le carnaval de la Jamaïque a été annulé et reporté à avril 2021.

En 2021, l’ensemble des îles risque d’être logé à la même enseigne: certaines comme Trinidad & Tobago et la Guadeloupe ont déjà annoncé l’annulation de leur carnaval, en tout cas de toutes les parades, “déboulés” et autres grands rassemblements; d’autres espèrent un traitement ou un vaccin contre ce coronavirus avant de prendre une décision définitive mais l’annonce de plusieurs vaccins bientôt disponibles ne signifie pas que la vie normale sera de retour immédiatement…

Cependant, nous avons constaté qu’il est très difficile de connaître les sommes exactes générées par les festivités du carnaval dans les territoires. Des organisations internationales telles que la Caribbean Community ou Communauté Caribéenne (CARICOM) ou l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) n’ont pu nous transmettre aucune information car elles n’ont probablement jamais réalisé d’études sur le poids du carnaval dans l’économie dans la région. C’est plutôt incompréhensible. Peut-être parce que les îles ne souhaitent pas divulguer le montant de leurs revenus…

Quoi qu’il en soit, il est clair que la Caraïbe où il existe plus de 200 festivals de toutes sortes et au moins un carnaval chaque mois de l’année (sauf en septembre et octobre, “mois des ouragans”) et qui a misé sur l’Économie Orange (culture et industries créatives) représentant une part importante de son économie globale (jusqu’à 8% pour Sainte-Lucie en 2011, par exemple) est, aujourd’hui, anéantie par cette pandémie de Covid-19.

Junkanoo Bahamas 1