Thomas Boutant: “notre rôle est surtout de continuer à enrichir culturellement la Martinique et la Caraibe”

La chanteuse martiniquaise Jocelyne Béroard et le "Big In Jazz Collective"

Après 17 éditions annuelles, le Biguine Jazz Festival est devenu le Big In Jazz Festival. La 18e édition s’est déroulée du 17 au 24 août dernier à la Villa Chanteclerc à Fort-de-France, Martinique. Un collectif de huit musiciens originaires de la Martinique, la Guadeloupe et Haïti était en résidence d’artistes: Maher Beauroy, Tilo Bertholo, Stéphane Castry, Ralph Lavital, Ludovic Louis, Yann Négrit, Jowee Omicil et Sonny Troupé. Lors du concert final, la chanteuse martiniquaise, Jocelyne Béroard, qui a introduit son célèbre morceau “Concerto pour la fleur et l’oiseau”, a parlé d’une “musique élévatrice, qui permet de rêver”(…).

Thomas Boutant, le directeur artistique et programmateur du Big In Jazz Festival, a fait le bilan de ce nouveau concept musical avec Kariculture.

2-Big In Jazz Festival 2020

Kariculture.net : En quoi consistait le festival cette année ?

Thomas Boutant : Cette année on s’est adapté au contexte de la pandémie. Il a fallu réfléchir, trouver de nouvelles idées. Tout naturellement, on est allé dans le sens que ce qu’on faisait déjà, c’est à dire une résidence comme, en fait, chaque année. Et on s’est dit pourquoi pas ne rassembler une partie des meilleurs musiciens de la Guadeloupe et de la Martinique de jazz caribéen pour en faire un collectif, le “Big in Jazz Collective”.

Le projet global s’inscrit dans une stratégie à long terme. Le festival a pour objectif de s’ouvrir davantage à l’international. Pour cela, il y avait plusieurs solutions, celle qu’on a trouvé intéressante c’était justement de pouvoir produire cette résidence mais également un film documentaire autour de cette résidence, le tout à partir de morceaux du répertoire, des standards de chez nous. Un album et une tournée à l’international sont également prévus. On est sur 3 déclinaisons, trois objectifs : la production d’un album, d’un documentaire et d’une tournée à l’international.

Kariculture.net : Doit-on s’attendre à chaque prochaine édition à un album, un documentaire et une tournée à l’international ?

T. B. : Pourquoi pas! il s’agit cependant de moyens importants, tant financier qu’humain. Nous conservons l’objectif principal de continuer à explorer et sublimer le répertoire musical de chez nous. Par conséquent, les déclinaisons seront susceptibles d’évoluer, nous sommes ouverts!

3-Big In Jazz Festival 2020

Kariculture.net : On se souvient qu’en 2018 le trompettiste guadeloupéen Franck Nicolas a fait une grève de la faim pour faire accepter le jazz de Guadeloupe et de Martinique dans les festivals de l’Hexagone; le chanteur martiniquais Tony Chasseur avait, dans une lettre ouverte, dénoncé le manque de considération pour le Créole Jazz alors qu’il existe le Latin Jazz et l’Afro Jazz. Vous parlez de tournée à l’international, la France hexagonale est-elle exclue ?

T. B. : Le marché Français fait partie intégrante de notre stratégie d’export et de diffusion du Big In Jazz Collective. Les festivals français sont pour la plupart dimensionnés à l’international et les publics sont de plus en plus divers. Notre objectif est d’utiliser le marché Français comme un levier vers les festivals européens également.

Kariculture.net : Comment avez-vous choisi les musiciens ?

T. B. : Manuel Boutant est également le programmateur du festival et Christian Boutant, le directeur du festival. C’était une concertation entre nous trois. Comment on a choisi ?

Sur les huit musiciens, sept sont déjà passés à Biguine Jazz, ces six dernières années. On a écrit l’histoire du festival avec eux, en tout cas la deuxième partie. J’ai tendance à dire que les 18 ans de festival, c’est deux parties. Une première qui dure environ 13 ans, faite par ceux qui ont fondé le festival, avec principalement des artistes de chez nous. Et ensuite, une autre vision qui arrive en 2014, plus tournée vers l’international et la jeunesse. C’est là qu’on a vu émerger des jeunes comme Maher Beauroy, Marc Cabrera, Xavier Belin etc. Ils ont tous une histoire avec le festival: Yann Négrit a joué en 2011 la première fois, Sonny Troupé qui a joué en 2010 avec Grégory Privat, Stéphane Castry qui a présenté son projet en 2018, Tilo Bertholo est là depuis qu’il est tout petit. On s’est dit qu’on allait faire une synthèse avec les musiciens qui ont écrit cette deuxième partie de Biguine Jazz.

4-Big In Jazz Festival 2020

Kariculture.net : On a remarqué que Biguine Jazz a changé de nom, pourquoi ?

T. B. : Oui et non, Christian Boutant avait déjà ça en tête. Les choses se sont faites naturellement. Big in Jazz ça représente l’état d’esprit dans lequel on est aujourd’hui : on connaît nos racines mais on sait qu’on a la puissance pour aller encore plus loin, à l’international. On garde la même phonétique mais le sens est plus large.

Kariculture.net : Ça veut dire que la biguine a moins de place ?

T. B. : Non, c’est elle qui constitue les fondations du festival. Elle s’ouvre, se mélange à d’autres styles. On peut passer de la biguine, au hip-hop, au rock. La biguine reste le point de départ puisque dans son essence, c’est la seule musique traditionnelle qui était déjà tournée vers le jazz. On a constaté qu’au fil des années, les groupes ne produisaient plus de biguine. Nous sommes les témoins de ce qui se passe. On évolue avec.

5-Big In Jazz Festival 2020

Kariculture.net : Auriez-vous des anecdotes à raconter sur ces années de festival ?

T. B. : Je pense spontanément à la logistique parce qu’on a appris sur le tas, avec des bénévoles qui ont appris également sur le tas !

En 2014, la première année où on a organisé le festival, où la jeunesse a repris toute la production, on ne s’imaginait pas à quel point c’était colossal. La veille du premier concert, avec Manuel, on a paniqué dans la chambre d’hôtel en réalisant tout ce qu’il fallait faire. Ça représente le point de départ de ce qu’est devenu Biguine Jazz aujourd’hui. Les gens viennent en concert, ils passent de bons moments mais ne s’imaginent pas tout ce qu’il y a derrière, c’est pas le but.

Concernant la programmation, il y a cette anecdote avec Yolanda Brown, une saxophoniste jamaicaine qui est venue en 2018. On l’a découverte sur Deezer, on a vu qu’elle passait en Angleterre. Trois mois après, on est parti la voir en concert dans un petit club de jazz. Le concert nous a subjugués. Le hasard a fait qu’elle s’est approchée de nous, en quelques mots, on l’a invitée au festival, elle était émerveillée, l’année d’après elle est venue.

Kariculture.net : Vous n’êtes pas portés par une institution, c’est une difficulté ?

T. B. : Je crois que nous sommes l’un des seuls festivals qui a 18 ans d’existence mais qui n’a pas d’équipe permanente. C’est un peu un exploit mais en même temps un handicap. Aujourd’hui on est en train de constituer une équipe permanente qui, je l’espère, fera perdurer ce festival au moins 18 ans supplémentaires.

6-Big In Jazz Festival 2020

Kariculture.net : Le Festival de Jazz de Saint-Lucie a disparu, pensez-vous qu’il y a une place à prendre dans le calendrier des événements musicaux de la Caraïbe? 

T. B. : Incontestablement, le Big in Jazz Festival propose cette alternative avec une vision actuelle de ce qui se fait aujourd’hui. Il y a de la place pour tout le monde, notre rôle est surtout de continuer à enrichir culturellement la Martinique et la Caraibe, mais aussi de se positionner comme un festival avant-gardiste où le monde entier viendra dans un but commun, découvrir les tendances musicales de la musique caribéenne et du jazz !

 

PAROLES DE RÉSIDENTS 

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Jowee Omicil

Kariculture.net : Qui est Jowee Omicil ?

Jowee Omicil : Même moi, tous les jours au réveil, je me pose la même question. Je suis un mélomane, passionné de la musique. J’aime partager, je suis amoureux de la nature, de la vie… Que dire de plus ? Je suis là, j’existe. Mon existence dit tout de moi.

Kariculture.net : Vous allez revisiter un répertoire martiniquais ?

J. O. : C’est un répertoire global, pas seulement martiniquais, il y a la Caraïbe, mais on a été chercher ailleurs. Il y a des influences martiniquaise, haïtienne, guadeloupéenne, américaine, moi je suis né au Canada d’origine haïtienne… C’est une rencontre favorable à la croissance de ce son caribéen trop souvent galvaudé. Ça fait très plaisir de revisiter le travail formidable de ces compositeurs, de ces écrivains.

Kariculture.net : Que penses-tu du répertoire martiniquais ?

J. O. : J’ai déjà revisité le répertoire de Stellio, Léona Gabriel etc. Je ne me lasse jamais. 20 fois sur le métier, il faut remettre son ouvrage. Même l’art, j’adore Henri Guédon. Je trouve que c’est un coin de terre très riche. Les gens sont très chaleureux, très aimants. C’est vrai qu’il y a des structures sociales, que l’on peut dénoter mais on n’est pas là pour faire aucun amalgame ou aucune invitation à la confusion. Bref, Madinina je t’aime.

8-Big In Jazz Festival 2020

Laurent-Emmanuel “Tilo” Bertholo 

Kariculture.net : Comment s’est passée la résidence ?

L-E. B. : Un répertoire imposé et on arrive avec notre expérience, notre vécu, nos talents de compositeurs, d’arrangeurs. Il y a un côté un peu primaire dans la réalisation de l’arrangement. On propose des idées de structures et on voit ce que ça donne.

Il y a une très bonne ambiance. Certaines personnes qui passent nous voir se demandent si on travaille vraiment ! On est à fond mais l’ambiance est cool. J’ai rarement bossé dans une ambiance aussi cool. Ça facilite les choses, on se fait confiance. D’ailleurs, il y a un morceau dont on a trouvé l’idée au cours d’une “déconnade” : on écoutait la musique, on est parti dans un délire, on s’est ambiancé et ça a fait tilt. Les vibrations sont très saines, très bonnes, on ne se prend vraiment pas la tête.