Avis de tempête sur l’agence Krystel Ann Art en Guadeloupe

Aaaaah, le bon vieux temps! - Photo: Page Facebook du Conseil Régional de la Guadeloupe

Autrefois encensée, Krystel Ann Art est maintenant décriée par certains artistes de Guadeloupe.

60014870_2318972034833502_9087952972142346240_n
De gauche à droite: Joël Nankin, Jean-Marc Hunt et François Piquet – Photo: Page Facebook du Conseil Régional de la Guadeloupe

Il y a quatre ans, certains médias (les “grands”, surtout) annoncent à qui veulent l’entendre que des artistes guadeloupéens vont participer à la 58e édition de la Biennale de Venise qui a lieu du 11 mai au 24 novembre 2019; Kariculture (“petit” média) n’est pas informé de ce “grand” événement artistique, rien de bien grave pour nous, nous n’avons donc pas participé à la désinformation du public…

Les plasticiens Joël Nankin et Jean-Marc Hunt ainsi que le sculpteur François Piquet sont les trois artistes choisis pour représenter notre archipel en Italie. Il sont accompagnés de l’agence Krystel Ann Art, l’association Kouleur Sens, deux structures créées en 2016 et dirigées par Olivier Tharsis et sa femme Christelle Mérabli qui vivent au Portugal depuis quelques années.

“Nos artistes, enfin repérés pour faire partie de cette fête mondiale de l’art”, affirment certains, trop contents de cette “reconnaissance”… D’autres disent même: “Que fait un “Hexagonal” parmi les artistes qui vont représenter la Guadeloupe? Cette place aurait dû être attribuée à un Guadeloupéen natif-natal pour une fois que des artistes d’ici sont demandés à l’étranger”… Bref, beaucoup d’encre et beaucoup de salive coulent pour saluer et commenter cet “heureux” événement.

Georges Brédent, le vice-président du Conseil régional de la Guadeloupe en charge de la commission culture de l’époque, toutes dents dehors, fait même le déplacement jusqu’à la Cité des Ponts afin de prendre part à cette célébration internationale de l’art contemporain. C’est sûr qu’il ne voyage pas en classe économique et que, durant son séjour, il ne loge pas et ne mange pas dans une pension de famille! Au nom de la Culture, la Région Guadeloupe ne compte pas ses sous à Venise alors que ceux qui demandent ici une petite aide financière pour leurs entreprises sont ignorés…

Mais, juste avant la crise du Covid qui stoppe la vie culturelle ici et ailleurs, les langues commencent à se délier. En effet, il se dit maintenant haut et fort ce que certains savent depuis toujours : nos trois artistes n’ont, en réalité, jamais participé à la Biennale de Venise; ils sont “inconnus au bataillon” pour les organisateurs officiels de cette manifestation. Quelle claque! Si certains rigolent de cette mésaventure, d’autres sont très en colère; “ça sent l’arnaque”, disent-ils.

Pour information, près d’une centaine de pays participent à la Biennale de Venise en 2019. Les îles caribéennes présentes sont : Antigue & Barbude, Cuba, Grenade, Haïti et la République dominicaine (avec la plus grosse délégation d’artistes caribéens, soit 9). Quant à la France (puisque la Guadeloupe est toujours française), elle est représentée dans le pavillon français aux Giardini par une seule et unique artiste, Laure Prouvost ; aucune trace de nos artistes guadeloupéens. Sachez, en passant, que le plasticien martiniquais, Julien Creuzet, a été choisi par le comité de sélection pour représenter la France à la 60e Biennale de Venise en 2024.

Depuis quelques jours, des réglements de compte se déroulent par écrans interposés sur les réseaux sociaux entre les artistes partis à Venise en 2019 et l’agence chargée de les “chapeauter” non pas, rappelons-le, dans la Biennale officielle de Venise mais dans un simple “Off”, c’est-à-dire une exposition parmi tant d’autres, organisée à la même période dans cette ville. Précisons que les trois artistes de la Guadeloupe ont montré leurs oeuvres au Palazzo Mora dans une exposition intitulée “Personal Structures – Identities” (Structures Personnelles – Identités) avec trois autres artistes venus de la République dominicaine, d’Espagne et du Brésil.

Selon les dirigeants de Krystel Ann Art, 200 000 euros étaient nécessaires pour réaliser une telle opération mais ils n’ont reçu que 48 000 euros de la part du Conseil régional et Conseil départemental de la Guadeloupe ainsi que de la Direction des affaires culturelles. On ignore qui prenait en charge financièrement les dépenses des trois artistes dominicain, espagnol et brésilien… Dans ce même communiqué publié par cette agence le 16 août dernier sur sa page Facebook, on lit : “(…) Toute personne qui aurait récolté des fonds autres au nom de ce projet l’a fait dans son intérêt personnel. Aujourd’hui, nous avons des procédures en cours avec des individus qui ont agit de façon grave pour nous soustraire des sommes indues. Nous continuerons à réclamer que les personnes responsables des faits de violences, de diffamation et d’atteinte à l’intégrité de notre entreprise et de nos personnels soient mis en face de leurs responsabilités. Toute personne qui continuera à agiter les foules en faisant croire qu’il nous a été confié un budget à 6 chiffres pour l’opération que nous avons entrepris à Venise sera poursuivi pour diffamation et atteinte à la réputation de notre entreprise. Il en sera de même pour ceux qui font circuler que nous avons détourné avec des élus de Guadeloupe un million d’euros”. Tous à l’abri, ça va exploser!

Nos artistes ont-ils fait une demande de subvention individuelle pour faire ce périple? Combien d’argent ont-ils perçu du Conseil régional et du Conseil départemental de la Guadeloupe ainsi que de la Direction des Affaires culturelles de Guadeloupe qui représente localement le Ministère de la Culture? Ces agents de ces administrations contrôlent-ils les demandes de subventions qui leur sont adressées pour qu’il n’y ait pas de doublons sur un même projet ou distribuent-ils de l’argent parce que ce sont leurs parents, amis et alliés?

Cette affaire ne concerne pas uniquement le coût – jugé “exhorbitant” par certains – de la participation des artistes guadeloupéens à ce fameux “Off”. En effet, l’un d’entre-eux, Joël Nankin, affirme n’avoir jamais récupéré ses oeuvres après le “Off”. Le 15 août dernier, sur un large bandeau de couleur rose fluo, il poste sur Facebook : “Olivier Tharsis, Krystel Ann Art, rendez-moi mes peintures 2018-2023”. Il déclare que ses oeuvres “disparues” ont une valeur de 60 000 euros et que le peintre professionnel qu’il est a tout essayé afin de les récupérer à l’amiable, sans succès. Cette publication entraîne de nombreux commentaires. On apprend que ces oeuvres auraient dû être restituées trois années après la Biennale de Venise de 2019 si elles n’ont pas été vendues. On comprend que le contentieux de l’artiste avec cette agence remonte à 2018 lors de l’exposition Éclats d’Îles 1″, une série de trois expositions d’oeuvres d’artistes guadeloupéens à Paris initiée par le Conseil régional de Guadeloupe en collaboration avec Krystel Ann Art et stoppée en 2019. Kariculture n’a pas traité cette actualité car nous n’en avions pas été informés par la collectivité régionale et l’agence, nous nous sommes habitués à cette habitude…

Mais où sont donc passées ces oeuvres? C’est le grand mystère de cette affaire. Dans un reportage de la télévision publique locale, la commissaire de cette exposition organisée en marge de la Biennale officielle de Venise, Marci Gaymu, déclare avoir vu ces oeuvres emballées pour être expédiées vers la France, alors pourquoi ne sont-elles pas arrivées à destination? Seraient-elles retenues en “otages” pour rembourser une dette? Seraient-elles tombées entre les mains de trafiquants? On se souvient de la mésaventure de Mounia, l’artiste martiniquaise, dont les tableaux avaient été dérobés et abîmés, en 2008, après une exposition à New-York…

De son côté, Krystel Ann Art écrit dans son communiqué du 16 août dernier : Toute personne qui continuera à poster publiquement sur tout type de réseaux que nous avons volé leurs œuvres s’expose à des poursuites”. Oui, mais, où sont ces oeuvres? Tant qu’une réponse claire ne sera pas apportée, les suppositions iront bon train.

Un autre artiste ayant participé à l’aventure en Italie expose également sur Facebook, le 17 août dernier, le litige qui l’oppose à Krystel Ann Art et Kouleur Sens. Il s’agit de François Piquet. On apprend que, si tout se passe bien avec cette agence lors de l’exposition Éclat d’Îles 2″ à Paris en 2018 (financée par le Conseil Régional de la Guadeloupe) et lors du “Off” de la Biennale de Venise en 2019, l’exposition intitulée “Figures d’Outrefers” qui devait débuter en 2022 pendant la Route du Rhum au Fort Fleur d’Epée en Guadeloupe avant de partir en France hexagonale n’a pas eu lieu car, écrit-il : “L’association Kouleur et Sens dirigée par Olivier Tharsis et Christelle Mérabli, n’a jamais mis à ma disposition les fonds nécessaires (et déjà perçus) à la réalisation de l’exposition. Je n’ai pu que constater le détournement de ces subventions (et je pèse mes mots) par l’association Kouleur et Sens (…). Face à cette situation et la fin de toute relation de confiance et de collaboration professionnelle avec Krystel Ann Art, l’association Kouleur et Sens, Olivier Tharsis et Christelle Mérabli, je veux avant tout retrouver mes oeuvres qui étaient “en attente” en Europe pour “Figures d’Outrefers(…)”. Cet artiste parle même d'”action collective” contre cette agence et cette association ainsi que ce couple de dirigeants car d’autres artistes auraient des “procédures en cours” contre eux… Combien d’artistes n’ont pas reçu leurs oeuvres à la suite des expositions dont Krystel Ann Art avait la charge?

La réponse d’Olivier Tharsis ne se fait pas attendre puisque le 18 août dernier, il poste un droit de réponse. On y retient ces trois phrases : “(…) il y a des artistes avec lesquels nous n’avons pas de soucis. Nous comprenons que l’appel à la mobilisation collective est une méthode pour nous intimider d’une part et pour faire douter ceux qui refusent d’adhérer au complot, d’autre part. Il vaut mieux s’unir contre ceux que l’on pense faibles que de se rassembler pour demander un vrai changement, une vraie transparence, un véritable respect”.

Ces réglements de compte sur ce réseau social, entraîneront-ils un dénouement satisfaisant pour l’ensemble des protagonistes?

Une chose est sûre: les agences ou galeries d’art qui travaillent pour la promotion des artistes de l’archipel et de leurs oeuvres doivent dresser un bilan annuel de leurs actions afin que l’on sache, par exemple, le nombre d’événements locaux, nationaux ou internationaux organisés ou auxquels les artistes ont participé, le nombre d’oeuvres vendues, le nombre de collectionneurs faisant partie de leur “clientèle”, le montant des financements, bref, toute information permettant d’enlever le “flou artistique” qui entoure ces événements réalisés grâce aux fonds publics.

Il est clair que face au manque de visibilité dont souffrent nos artistes, devenir “organisateur d’expositions” est, depuis quelque temps, une profession qui a le vent en poupe. Des sommes sont versées par les deux collectivités majeures de l’archipel et la DAC à ces personnes qui, souvent, ne prennent aucun risque financier quand elles créent un événement…

Le “flou artistique” existe aussi dans les grandes collectivités et arrange certaines personnes sinon les règles concernant les subventions auraient été claires et empêcheraient des demandes multiples pour un même projet. Il y a quelques années, Kariculture a eu l’occasion de contacter un agent du service culturel du Conseil régional de la Guadeloupe pour une subvention. Cette femme ne nous a jamais répondu mais elle n’oublie jamais de traiter le dossier de son compagnon artiste dès qu’il organise un événement…