Amelia Duarte de la Rosa: “Pour moi, Haïti est une source inépuisable de vie”

Amelia Duarte de la Rosa

“Haití, Despertar de la Muerte” (Haïti, le Réveil de la Mort) est le nouveau livre d’Amelia Duarte de la Rosa qui vient d’être publié par Editora Política. L’auteure qui est la rédactrice en chef de la rubrique culture du journal Granma et aussi la correspondante de Kariculture.net à Cuba a vécu en Haïti après le tremblement de terre dévastateur de 2010 et est retournée à Port-au-Prince en 2014. Dans cet ouvrage, elle présente avec toute sa sensibilité sa vision personnelle – notamment culturelle et sociale – de cette île des Grandes Antilles.

La célèbre écrivaine et journaliste cubaine Marta Rojas a écrit la préface.

La couverture est illustrée avec des dessins faits par des enfants haïtiens après le séisme aux côtés du peintre cubain très connu Alexis Leyva Machado (Kcho).

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KARICULTURE.NET: Comment t’es venue l’idée d’écrire ce livre sur Haïti? Tu aurais pu simplement écrire tes articles, tes reportages puisque tu étais la correspondante du journal Granma dans cette grande île caribéenne, deux ans après le tremblement de terre de 2010. Haïti est une terre qui donne l’impulsion créatrice?

Amelia Duarte de la Rosa: En 2011, le journal a décidé de m’envoyer comme correspondante en Haïti pour couvrir la situation du pays qui, après le séisme vivait une épidémie de choléra néfaste. Les nouvelles que je lisais de ce pays me semblaient toujours très tristes et décourageantes. En revanche, quand je suis arrivée, j’ai vu un pays merveilleux au-delà de la pauvreté. J’ai commencé à découvrir la beauté dans les choses de tous les jours qui, peut-être parce qu’elles sont si proches, passent souvent inaperçues. Cette vision pleine d’espoir m’a fait écrire des chroniques sur tout ce que je vivais quotidiennement. Je voulais que les lecteurs voient à travers mes mots qu’Haïti n’est pas ce que disent les grands médias. C’est un pays comme n’importe quel autre, avec ses avantages et ses inconvénients, mais c’est un pays magique qui a une beauté indéniable. De plus, tout l’attirail médiatique qui est monté quand il y a une tragédie en Haïti m’a toujours beaucoup dérangé. As-tu remarqué que s’il n’y a pas de cyclones, de tremblements de terre ou d’épidémies personne ne parle des Haïtiens?

À mon grand plaisir, tous les articles et chroniques que j’ai écrits ont été publiés dans le journal dans une rubrique appelée Desde Haïti (Depuis Haïti).

À mon retour à Cuba en 2012, motivée par l’opinion de plusieurs amis, j’ai décidé de compiler tous les chroniques et articles dans un livre, bien que je n’étais pas très sûre que cela marcherait réellement. Puis, je suis retournée à Port-au-Prince en 2014 et ce que j’ai vu dans ce pays m’a surpris et m’a fait très plaisir. C’est alors que j’ai pris la décision de présenter le livre, avec ma vision d’avant et d’après, à une maison d’édition. Finalement, après trois ans, le livre vient de voir le jour et cela me réjouit énormément. Haïti a représenté beaucoup de choses pour moi, en Haïti, j’ai changé ma façon de concevoir le journalisme, d’écrire, de voir la vie. Pour moi, Haïti est une source inépuisable de vie. Un pays où l’on peut toujours revenir et être heureux si l’on sait apprécier la beauté des petites choses. Haïti, comme je le dis dans le livre, est sans fin.

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KARICULTURE.NET: Pourquoi ce titre “Haití, Despertar de la Muerte” (Haïti, le Réveil de la Mort) ? Cela signifie-t-il que la mort n’est jamais très loin de la vie? Est-ce une manière de mettre en évidence notre condition humaine?

Amelia Duarte de la Rosa: Cela peut être tout cela, je n’y avais pas pensé de cette façon, mais il est toujours intéressant de connaître comment les lecteurs peuvent l’interpréter. Je crois qu’Haïti s’est réveillé de la mort plusieurs fois et, comme tout pays digne, il saura dans un futur devenir entièrement maître de son destin. Ce que j’ai vu en 2012 puis en 2014 m’a fait comprendre qu’avec de la volonté politique surtout, il est possible de se relever et d’anéantir les stigmates et les mythes qui existent.

Il est impossible de parler de l’histoire de l’Amérique latine sans Haïti. Il est un pays cardinal dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage et l’indépendance. Pour avoir ouvert cette voie il y a tant d’années, je pense que tous les pays du continent ne doivent pas oublier Haïti et le respecter en tant que tel. Mais tout dépend d’abord des Haïtiens.

S’ils ont su se réveiller de la mort après tant de calamités dont ils ont été victimes, j’espère qu’ils pourront maintenir cet état permanent, et surtout, la dignité pendant longtemps.

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KARICULTURE.NET: Après le séisme de 2010, le peuple cubain a été aux côtés du peuple haïtien. Cuba a envoyé des médecins en Haïti pour venir en aide aux habitants. As-tu suivi cette équipe médicale sur le terrain? Quelles étaient les relations entre Cubains et Haïtiens?

Amelia Duarte de la Rosa: Cuba n’a pas envoyé des médecins à Haïti après le tremblement de terre. Les médecins cubains étaient déjà là. C’est une erreur qui a été reprise par de nombreux organes de presse. Les médecins cubains sont en Haïti depuis 1998, quand un ouragan a inondé l’Artibonite, un Département d’Haïti.

Tout le temps que j’étais en Haïti, j’ai vécu avec les médecins cubains. C’est une mission très altruiste et désintéressée, les consultations et les opérations pour le peuple haïtien sont gratuites. C’est quelque chose que le peuple apprécie beaucoup et il sait le récompenser avec le traitement qu’il réserve aux Cubains.

Après le départ d’Haïti de presque toutes les missions humanitaires, la mission médicale cubaine continue d’offrir ses services non seulement dans la capitale, mais aussi dans tous les départements, communes et districts d’Haïti.

Dans le livre, je parle beaucoup de cette relation entre Cubains et Haïtiens. Nos deux peuples sont unis par des liens, non seulement de proximité géographique, mais aussi par des siècles de fraternité.

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KARICULTURE.NET: Pendant de longs mois, tu a vécu avec les Haïtiens, quels souvenirs gardes-tu de ce peuple caribéen? En tant que journaliste spécialisée dans la culture, que penses-tu de la culture haïtienne?

Amelia Duarte de la Rosa: La culture haïtienne est une partie importante du livre. La culture sociale, artistique et idiosyncratique.

La culture artistique est très riche dans tous les aspects. Elle est intense et profonde, de la même manière qu’elle est colorée. J’admire beaucoup sa peinture naïve, sa musique kompa, racine… et sa poésie, il y a aussi des films très intéressants. Mon seul regret est de ne pas avoir eu la chance d’apprécier son théâtre, beaucoup de salles ne sont pas restées debout après le tremblement de terre. Les études de la culture caribéenne tiennent toujours compte de l’art haïtien. Des écrivains haïtiens comme Jacques Roumain, René Depestre, Frankétienne… sont des paradigmes de la littérature et de la pensée de la Caraïbe.

Mes souvenirs du peuple haïtien sont les meilleurs. J’y ai laissé beaucoup d’amis qu’un jour, je sais, je retrouverai.

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KARICULTURE.NET: Tu es une journaliste passionnée par notre région de la Caraïbe, par les arts, il y a certainement beaucoup d’autres sujets qui t’inspirent. As-tu d’autres projets de livres sur Cuba, sur d’autres îles?

Amelia Duarte de la Rosa: Eh bien, j’ai déjà fait partie d’une anthologie publiée l’année dernière à Cuba sur les jeunes essayistes cubains et pas plus tard que la semaine dernière, est sorti mon autre livre sur la danse cubaine intitulé Cuba danza la Luna. Il a été publié par Samarcanda, un éditeur espagnol. C’est un livre qui expose une enquête sur la danse cubaine dans les années fondatrices de la Révolution cubaine. L’étude se fait à travers les critiques que publiaient les médias.

Oui, j’ai d’autres projets de livres, mais encore rien de concret. Je voudrais expérimenter un peu plus le récit. Et si j’avais la chance de connaître d’autres îles de la Caraïbe et d’écrire sur elles comme je l’ai fait sur Haïti, je crois que je me sentirais une journaliste beaucoup plus complète. Un appareil photo et un sac à dos me suffiraient. Pouvoir réaliser une chose pareille se rapprocherait beaucoup plus de mon idéal professionnel.