Viviane Pelus: “Je suis en train d’accomplir un rêve, quelque chose que je n’aurais jamais pensé réaliser”

Viviane Pelus, artiste et directrice de la galerie L'Art s'en Mêle - Photo: Évelyne Chaville

Originaire de l’Ain en France hexagonale, Viviane Pelus a posé ses valises en Guadeloupe en 1998. Elle a d’abord géré une entreprise de volets roulants et de portes en aluminium. Cette jeune femme dynamique a découvert la peinture, il y a dix ans et, après avoir participé à une vingtaine d’expositions collectives, elle a réussi à concrétiser son rêve: ouvrir une galerie d’art. Après seulement un an et demi d’activité, L’Art s’en Mêle au Gosier est devenue un lieu incontournable dans le milieu culturel guadeloupéen.

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Kariculture.net : De quelle région de France hexagonale es-tu originaire et depuis combien de temps vis-tu en Guadeloupe?

Viviane Pelus : Je suis native de l’Ain à côté de Bourg-en-Bresse. Je suis arrivée ici en 1998 avec le père de ma fille, on s’est fait une place au soleil, au départ, on ne savait pas ce qu’on allait faire, on n’avait pas l’intention de trop travailler. On a monté une affaire d’aluminium, on faisait de volets roulants, des portes juste-là. C’était le boom à l’époque, c’est un très beau métier qui m’a permis de me placer, de construire notre belle petite maison. En 2018, le père de ma fille est parti, je me suis associé avec quelqu’un mais il a eu un très grave accident de travail, du coup, on a vendu. Toute seule, c’était trop fatigant, il y avait les employés (ils étaient 5), les fournisseurs, les clients. Je n’en avais plus envie, quand on fait quelque chose, il faut aimer sinon, ce n’est pas la peine.

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Kariculture.net : Nous nous sommes rencontrées pour la première fois lors de l’exposition “Que sommes-nous” de l’atelier du peintre Lucien Léogane au Fort Fleur d’Épée en 2019, tu étais l’une des élèves. Étais-tu déjà artiste-peintre ou découvrais-tu la peinture?

V. P. : En 2002, ma fille Alix allait à l’école à Poucette et je l’avais inscrite à la Maison des Jeunes et de la Culture pour apprendre la peinture avec Maurice Vital. Un jour, Nadine Henri qui a aussi participé à l’exposition “Qui sommes-nous” avec Lucien et qui était aussi à la MJC m’a dit de venir. À l’époque, je ne peignais pas, je ne savais pas du tout ce qu’était un pinceau et je me suis découvert des talents cachés. Pendant deux ans, j’ai travaillé avec Maurice qui est très académique et qui m’a donc appris les bases de la peinture, ce qui est très important. Après, nous sommes allées à l’atelier de Lucien Léogane.

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Kariculture.net : En tant qu’artiste peintre, quel est ton style préféré? Figuratif ou abstrait?

V. P. : Je fais beaucoup d’abstrait. Ce n’est pas mon choix, c’est parce que je ne sais pas très bien dessiner.

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Kariculture.net : Tu es sincère, certains artistes ne l’auraient pas avoué…

V. P. : C’est vrai, je pourrais dessiner mais c’est quelque chose dont je n’avais pas envie. Maintenant, j’ai envie d’apprendre vraiment à dessiner, de changer d’objectif car quand je peins, je reviens toujours aux mêmes choses c’est-à-dire mes ronds, mes superpositions de couleurs. Je travaille beaucoup à la spatule.

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Kariculture.net : Combien d’expositions personnelles as-tu déjà faites?

V. P. : Je n’en ai jamais faites. En avril 2021, je ferai ma première exposition personnelle.

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Kariculture.net : As-tu participé uniquement à des expositions collectives?

V. P. : Au total, j’ai participé à une vingtaine d’expositions collectives, en dix ans. Ma première exposition, c’était en 2010 avec Maurice Vital à la médiathèque du Gosier, la première avec Lucien a eu lieu au Casino du Gosier, j’ai aussi fait une exposition sur les orchidées en duo avec Nadine Henri au Centre culturel Rémi Nainsouta à Pointe-à-Pitre, puis en 2015 avec Steek…

Au début, quand j’ai ouvert la galerie, je faisais également des expositions collectives avec un thème. Par exemple, il y a eu “Noir et Blanc” avec Nicole Réache, Françoise Charolle, Nadine Henri, Bizo ; en juillet 2019, “Bleu, Blanc, Rouge” pour la Fête nationale avec Corentin Faye, le collectif K4G etc. J’ai exposé lors de toutes ces expositions collectives.

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Kariculture.net : En 2019, tu m’as annoncé que tu allais lancer ta galerie. Un an et demi après, voilà le résultat. Tu aurais pu rester artiste, pourquoi as-tu voulu passer de peintre à galeriste?

V. P. : J’aurais pu rester artiste mais j’avais envie de partager cette passion qu’est l’art. J’ai toujours dit que, si j’avais la possibilité, j’ouvrirais un espace dédié à l’art. La galerie est maintenant un tremplin pour les jeunes talents et j’espère que, d’ici quelque temps, ce sera un endroit incontournable de la Guadeloupe.

Devant la pénurie des lieux dédiés à l’art en Guadeloupe, je me suis dit “Viviane, lance-toi” mais pas pour gagner de l’argent. C’était pour moi un challenge, j’ai réalisé tout cela avec mes fonds propres, j’ai eu quelques aides car j’avais travaillé dans le milieu de l’aluminium mais je n’ai pas fait de demande des subventions. Il faut faire un dossier, c’est compliqué mais j’en ferai une plus tard peut-être. On verra bien, je ne regrette aucunement.

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Kariculture.net : D’où vient le nom de la galerie, “L’Art s’en Mêle”?

V. P. : En novembre 2018, Thierry Alet était venu voir les artistes, j’étais un peu connue en tant qu’artiste car j’avais déjà participé à la Pool Art Fair 3 ou 4 fois. Il avait lancé un projet sur les 40 ans de la Route du Rhum, qui s’appelait Art Rhum. J’ai fait rapidement un petit espace ici même, c’était propre et climatisé, il n’y avait pas tout ceci mais on pouvait y accueillir une expo itinérante.

Après, j’ai fait une première exposition avec le collectif de Lucien Léogane – Élisabeth, Nadine, Marie et les autres – et le thème était “L’Art s’en Mêle” et j’ai gardé le nom.

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Kariculture.net : Pourquoi L’Art s’en Mêle?

V. P. : Parce que c’est là où tout se mêle, tous les arts peuvent se mêler entre eux que ce soit la peinture, la sculpture, la musique… Je peux aussi faire une expo, un vernissage et convier un groupe, un chanteur, une chanteuse.

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Kariculture.net : Contrairement à ce que tu disais, en une année et demie d’existence, L’Art s’en Mêle est déjà un espace incontournable, est-ce que tu t’attendais à ce succès? Comment expliques-tu cela?

V. P. : Parce que je suis gentille. Tout au début, je ne louais pas l’espace pour des expos, c’était gratuit parce qu’il fallait faire venir du monde, faire connaître le lieu. J’ai fait l’inauguration avec Habdaphaï en mars 2019. Je n’ai pas créé ce lieu pour gagner de l’argent, aujourd’hui, j’ai 3 espaces et j’ai des frais. Les artistes qui exposent ici vendent 1 ou 2 tableaux au minimum, c’est une reconnaissance.

L’espace est déjà loué jusqu’à mi-juin 2021. La durée minimum de location est de dix jours.

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Kariculture.net : As-tu été soutenue moralement dans la réalisation d’un tel projet?

V. P. : Tous les gens qui étaient autour de moi – à part mes amis intimes qui sont peu nombreux et les artistes – m’ont demandé si j’étais folle. J’ai voulu faire le test, me lancer là-dedans, donc j’ai lancé dès le départ un espace art co-working avec Wi-Fi, un espace avec du matériel de beaux-arts, et un espace galerie avec un coin bar. Les vernissages se faisaient à l’extérieur ce qui pouvait être dangereux et puis j’ai eu l’opportunité d’avoir cet espace supplémentaire, depuis février dernier.

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Kariculture.net : Qui fréquente la galerie?

V. P. : Tout le monde. Chaque exposition est différente. Les amis des artistes, les gens qui passent devant la galerie et qui s’arrêtent, la clientèle et le réseau de l’artiste… Dans chaque exposition nouvelle, il y a de nouvelles personnes dont je fais la connaissance. Il y a aussi des passionnés qui sont toujours là. Les 3/4 des vernissages sont gratuits, on peut boire et manger quelque chose…

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Kariculture.net : Quand as-tu agrandi l’espace?

V. P. : Il y avait un marchand de primeurs à cet endroit mais au mois de décembre, il a coulé, j’ai récupéré le local. On avait déjà ouvert pour les fêtes de Noël avec Vanessa Gaulin puis j’ai fermé pour y faire des travaux. J’ai inauguré cet espace supplémentaire en février 2020. À cette occasion, j’ai organisé une exposition avec Steek, K4G, Bizo et moi-même sur le thème l’amour pour la Saint-Valentin.

Après, il y a eu une artiste qui vit au Canada Marion H. Gérard qui peint dans l’eau. Elle est venue en décembre avec une copine visiter les lieux, elle cherchait une personne pour l’emmener plonger, ma fille étant monitrice de plongée, elle a dit que non seulement elle avait trouvé une monitrice mais en plus une galerie d’art! Quand elle est rentrée au Canada, elle m’a appelé pour me dire qu’elle sera en Guadeloupe de janvier à mars dernier et qu’elle aimerait réserver la galerie pour une exposition. Elle a peint ici une vingtaine de tableaux dont une dizaine sous l’eau : elle descend à 10 ou 15 mètres dans la mer, elle s’assoie et elle peint à l’huile, c’est très impressionnant. Ils sont six dans le monde à faire cela.

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Kariculture.net : Combien d’expositions as-tu déjà accueilli dans cet espace?

V. P. : J’ai déjà accueilli 12 expos depuis février 2020, la galerie a été fermée pendant le confinement. L’an dernier, 14 expos. 26 expos, en tout.

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Kariculture.net : Quand les artistes viennent te voir pour louer ta galerie, qu’est-ce qu’ils te disent? Pourquoi viennent-ils ici? Qu’est-ce qui les attire?

V. P. : La notoriété et la convivialité surtout. Dès qu’ils entrent, ils ont le sourire, on dirait que c’est un lieu où il n’y a que des ondes positives. Ici, on est à l’aise, il n’y a pas de chaises ou de fauteuils de luxe, on s’assoie où l’on veut car je ne veux pas rentrer dans ce système. Je n’ai pas envie d’avoir des artistes qui ne sont pas contents. Pour l’instant, je n’ai jamais eu de soucis avec les artistes qui ont exposé, ici.

Ma réussite personnelle c’est cela. Je suis dans le partage, je ne dénigre personne, je reste neutre.

C’est aussi ma personnalité, j’y suis aussi pour quelque chose. Je n’utilise pas tout le potentiel du lieu parce que je suis une personne très prudente, je ne mets pas la charrue avant les boeufs mais je fais beaucoup de communication au niveau des réseaux sociaux.

On se rend compte que les artistes ont de plus en plus envie de bouger, de sortir, de s’exprimer, est-ce parce qu’il y a un espace comme celui-ci? Il y a cette dynamique à L’Art s’en Mêle ou ailleurs dans toute la Guadeloupe. C’est une belle dynamique, les gens en ont besoin, moi aussi.

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Kariculture.net : Peux-tu nous citer quelques noms d’artistes qui ont déjà exposé à L’Art s’en Mêle ?

V. P. : Habdaphaï, Steek, Alex Boucaud, Cédrick Isham, Marion H., Bizo, K4G, Corentin Faye alias Mister Co, Alfredus etc. Alice-Anne Augustin est venue exposer en octobre 2019 pendant 10 jours, c’était la première fois, elle avait peur, je l’ai beaucoup conseillée, elle a pris confiance en elle, on a lié amitié, je l’ai prise sous mon aile comme si c’était ma fille.

Comme je suis quelqu’un de simple, si un artiste me demande d’ouvrir la galerie un dimanche matin j’accepte, elle m’a dit que 7 ou 8 visiteurs devaient venir voir son expo le jour de la Toussaint, elle a eu de la chance parce parmi ces personnes, il y avait un mécène et aujourd’hui elle est dans une galerie à Paris, ils l’ont prise en main… C’est une artiste qui est humble, très belle, elle fait du pouring.

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Kariculture.net : En tant que galeriste, tu es la mieux placée pour voir les clients. Qui sont-ils? Monsieur et Madame Tout-le-monde? Les institutions?

V. P. : Les institutions n’ont jamais rien acheté ici. L’art, c’est un coup de coeur, les acheteurs sont Monsieur et Madame Tout-le-monde, les collectionneurs. En ce moment, on est dans une période assez compliqué donc je vois moins de monde qu’auparavant.

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Kariculture.net : Comment se passent les ateliers que tu fais?

V. P. : Ce sont les artistes qui en font la demande. On a déjà fait des ateliers de graffiti, mandala, poterie, journal créatif par exemple. Je leur prends un petit quelque chose, c’est un coût dérisoire. C’est un travail de longue haleine car les gens peuvent venir une fois et ne pas revenir, parfois il arrive qu’il n’y ait personne. Le public est composé d’enfants et d’adultes.

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Kariculture.net : Comment est née la boutique? Qu’y vends-tu? Ce sont les artistes qui viennent te voir ou tu les contactes?

V. P. : La boutique est née après le confinement parce que je ne pouvais pas faire d’expositions. J’y vends tout ce qui est artistique, il y a en a pour tous les goûts et à tous les prix.

Tout est local, à part un sac qui vient des Philippines, qui est fait en matières recyclées. Tout est fait par des artistes locaux. Je fais aussi beaucoup de recherches sur le net pour trouver les artistes car tous les 3 mois, je change les créations car il y a des clients réguliers qui viennent voir ce qu’il y a de nouveau. Il y a une vingtaine d’artistes qui propose leurs créations et c’est du dépôt-vente.

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Kariculture.net : Tu es dans une commune très touristique, Le Gosier, les touristes viennent-ils à L’Art s’en Mêle?

V. P. : Non, c’est quelque chose que je dois travailler. Juillet et août sont très calmes.

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Kariculture.net : As-tu des projets?

V. P. : Oui, faire une résidence avec des artistes locaux et même étrangers avec l’aide de la Direction des affaires culturelles ou de certaines subventions, faire des échanges, des soirées plus intimistes, privées autour de l’art avec de la musique. Il y a des gens qui travaillent à l’hôpital et qui viennent ici pour décompresser, se ressourcer pendant deux heures. Pour moi, je suis en train d’accomplir un rêve, quelque chose que je n’aurais jamais pensé réaliser.

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