Concerts de la Route du Rhum en Guadeloupe: une communication ratée

Malgré les milliers de spectateurs ayant assisté aux 25 concerts qui ont eu lieu dans le cadre de la 11e édition et 40e année de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, le volet culturel pourtant très alléchant concocté par les organisateurs n’a pas été largement relayé hors de nos frontières à cause d’une communication qui n’était pas à la hauteur de l’événement.

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La 11e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, cette course mythique de bateaux à voile entre les villes de Saint-Malo (France hexagonale) et Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), s’est achevée, il y a maintenant trois semaines. Durant ces derniers jours, nous avons épluché la presse nationale et internationale afin de trouver une série de reportages sur les 25 concerts qui se sont déroulés tous les soirs et pendant 18 jours (et non 17), si l’on ajoute l’hommage musical rendu le 2 décembre aux skippers guadeloupéens et aux skippers de l’Hexagone mais installés et soutenus par la Guadeloupe. Force est de constater que nos recherches n’ont pas été très concluantes…mais nous pouvons nous tromper.

L’unique quotidien de l’île avait écrit juste après la fin des festivités que ces 25 concerts avaient été “une belle vitrine”. “Une belle vitrine” pour qui ? pourrions-nous lui demander. Une vitrine est vivante, a du sens s’il y a des gens qui la regardent parce qu’ils sont séduits et surtout s’ils entrent acheter dans le magasin les produits proposés. Pendant cette période (du vendredi 9 au dimanche 25 novembre), notre webmagazine a réalisé un véritable marathon en étant présent tous les soirs au Mémorial ACTe pour assister aux différents concerts et parfois sous le déluge. Malheureusement, une chose a attiré notre attention: nous n’avons presque pas vu de touristes ou même des Français de l’Hexagone vivant en Guadeloupe à ces concerts mettant en valeur nos diverses musiques locales (gwoka, biguine, kadans, zouk), les musiques caribéennes jouées par nos artistes locaux et invités (kompa, dance hall) et même les musiques internationales (jazz, RnB, afro-beat).

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De rares spectateurs venus d’ailleurs

Rares ont été les concerts où nous avons vu des groupes de touristes. Admiral T, l’artiste guadeloupéen qui chante plutôt du dance hall a même sauté les barrières pour danser devant un groupe de personnes venues d’ailleurs, peut-être voulait-il les remercier d’être là ou s’agissait-il de ses invités… Mais c’était une exception.

En revanche, à l’occasion du concert de Bernard Lavilliers, des milliers de Français de l’Hexagone (résidents ou touristes) sont sortis des quatre coins de l’archipel guadeloupéen pour être devant la scène du Mémorial ACTe. Cette star française a dit à plusieurs reprises qu’on lui avait dit que le public guadeloupéen était très difficile mais que, visiblement, ce n’était pas le cas. À notre avis, Bernard Lavilliers n’a pas bien vu que les spectateurs devant lui étaient en très grande partie ses fans originaires de la France hexagonale…

La question essentielle est, par conséquent: comment l’organisation a-t-elle pu rater la communication du volet culturel de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe qui était pourtant une occasion exceptionnelle de promouvoir nos musiques ? Notre magazine kariculture.net n’a jamais reçu le programme des concerts malgré nos demandes à une entreprise de communication guadeloupéenne travaillant pour la Route du Rhum-Destination Guadeloupe et au service de communication du Conseil Régional de la Guadeloupe… Les organisateurs ont certainement pensé que les très nombreux journalistes de diverses nationalités allaient aussi couvrir les manifestations culturelles, en l’occurrence les concerts.

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Une absence de journalistes culturels

C’est vraiment méconnaître le fonctionnement des médias et surtout des grands médias où les journalistes sont très souvent spécialisés dans un domaine précis au sein d’une rédaction. Les journalistes présents en Guadeloupe étaient essentiellement des journalistes sportifs qui n’auraient jamais fait un reportage sur un concert, une musique locale ou un artiste local non pas parce que notre culture ne leur plaît pas mais parce qu’ils n’étaient pas là pour cela. Lors des arrivées nocturnes des concurrents à Pointe-à-Pitre, donc à l’heure où les spectacles battaient leur plein, la foule de journalistes était bien présente pour accueillir et interviewer les participants de la course mais la forêt de stylos, micros, appareils photos et caméras s’en allait sitôt terminée la cérémonie d’accueil.

Résultat des courses, des milliers de Guadeloupéens ont regardé seuls leur “belle vitrine” musicale. Actuellement en Guadeloupe, nous parlons beaucoup d’“économie circulaire” en matière de déchets mais visiblement nous pratiquons déjà la “culture circulaire”.

Dernièrement, le Conseil Régional de la Guadeloupe et le Comité du Tourisme des Îles de Guadeloupe (CTIG) ont réuni à New York des journalistes et des “influenceurs” (activité à la mode depuis l’avènement des réseaux sociaux sur internet) pour promouvoir notre archipel. Pourquoi ce beau monde n’était-il pas présent en Guadeloupe pour voir cette “belle vitrine” et la relayer, la promouvoir dans des médias aux États-Unis et ailleurs dans le monde ?

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Une richesse musicale incontestable

Mais, rassurons-nous: nous possédons une richesse musicale inestimable, c’est aussi le cas dans la plupart des îles caribéeennes. La biguine avec ses premières stars (Moune de Rivel, Albert “Al” Lirvat, Fructueux Alexandre “Stellio”, Léona Gabriel-Soïme, etc.) a fait les beaux jours de Paris dans la première moitié du 20e siècle et des célébrités comme Jean-Paul Sartre, Mistinguett, Joséphine Baker fréquentaient les lieux où était jouée cette musique comme l’ancien “Bal Nègre”. Nos tambours attirent aussi un public nombreux quand ils résonnent sur d’autres terres, le groupe Akiyo a d’ailleurs déclaré avoir eu récemment un grand succès en France hexagonale et au Bénin. Le groupe Kassav’, qui a inventé la musique zouk, fait le tour du monde depuis bientôt 40 ans et draîne des millions de spectateurs lors de ses concerts à l’étranger, c’est même le premier groupe français pour ce qui concerne les tournées… Pourquoi les touristes présents dans l’île étaient alors absents à ces différents concerts de zouk si quand ils sont dans leur pays ils assistent aux concerts de Kassav’ ? Évidemment, Kassav’ n’est pas n’importe quel groupe de zouk, mais une légende… Nos visiteurs, savent-ils au moins que la musique zouk est née ici ? Nous avons déjà rencontré des personnes qui pensaient que le zouk était une musique d’Haïti…

Par ailleurs, durant ces 25 concerts, nous avons vu des techniciens très compétents, des scènes toujours prêtes à accueillir les artistes en temps et en heure, il n’y a eu aucun problème technique malgré le temps très pluvieux, pendant plusieurs jours. Tous les artistes (vocalistes et musiciens) ont été à la hauteur de l’événement et ont su partager leur art avec le public même quand c’était la première fois que certains se retrouvaient en face d’une grande foule. Par conséquent, nous savons faire de grands spectacles en Guadeloupe et sur plusieurs jours consécutifs.

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Plusieurs festivals en 17 jours

En réalité, lors de cette 11e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, ce sont plusieurs festivals musicaux qui ont été organisés en 17 jours. Concrètement et sans exagérer, c’est comme si, par exemple, trois éditions du “World Creole Music Festival” – qui est le festival majeur de l’île de la Dominique auquel participent les artistes et le public guadeloupéens chaque année – avaient eu lieu pendant ces deux semaines. La Guadeloupe mérite plus que jamais son surnom de “Terre des Champions”. Cependant, si nos voisins Dominiquais remplissent leurs caisses de devises lors du WCMF, ici tout était gratuit pour les spectateurs car pris en charge par la collectivité Région Guadeloupe

Ce constat est assez paradoxal quand on sait que tous les grands festivals (arts plastiques, musique…) de la Guadeloupe ont eu un enterrement de 1ère classe. Il reste le “Festival Terre de Blues” de Marie-Galante qui est sous perfusion mais on peut s’interroger sur son devenir lorsque l’on entend certaines personnes déclarer que si des artistes de reggae ou dance hall de la Jamaïque ne sont pas programmés, ils n’iront pas à ce festival… Notre “belle vitrine” est-elle menacée ?

Mais, retenons que ces différents concerts de la 11e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe ont tout de même permis à nos artistes, dont la plupart est partie en France hexagonale, de s’exprimer et gagner de l’argent dans leur pays, ce qui est très bien.

Kariculture.net vous propose d’ailleurs 25 reportages sur les 25 concerts illustrés par près de 1 600 photos dans sa rubrique “musique”.

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Une communication inadéquate

Pour conclure, la communication mise en place pour promouvoir le volet culturel et particulièrement les 25 concerts de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe n’était pas à la hauteur. On s’est contenté de faire appel à quelques médias locaux qui ont pignon sur rue pour des directs à la radio ou à la télévision par exemple, peut-être a-t-on a cru qu’il s’agissait d’une simple fête patronale et qu’il fallait offrir de la bonne musique aux habitants pour qu’ils soient contents… Cependant, lorsque l’on souhaite attirer en Guadeloupe des millions de touristes au cours des prochaines années, peut-on se contenter uniquement des relais médiatiques locaux? Cette communication était destinée uniquement aux Guadeloupéens…peut-être parce ces électeurs seront appelés aux urnes dans quelques mois…

Malheureusement, ces magnifiques concerts dont l’organisation a coûté très cher n’ont nullement permis de faire rayonner nos artistes hors de nos frontières, durant cet événement international qu’est la Route du Rhum-Destination Guadeloupe qui célébrait aussi, en 2018, sa 40e année d’existence.

La communication qui est un domaine professionnel distinct du journalisme, est aujourd’hui incontournable dans le fonctionnement d’une collectivité locale par conséquent, elle ne doit pas être mise entre les mains d’apprentis-sorciers, autrement dit de personnes qui croient que communiquer c’est seulement faire imprimer un prospectus dans une imprimerie et un logo sur un sac ou un tee-shirt mais qui, en réalité, ne connaissent strictement rien en matière de stratégie de communication.