Xénia Caraïbe : une célébrité qui cultive la simplicité

La chanteuse Xénia Caraïbe est l'une des rares artistes de la Guadeloupe qui s'est produite sur les cinq continents. (Photo: Philippe Virapin)

La chanteuse Xénia Caraïbe est l’une des rares artistes de la Guadeloupe qui s’est produite sur les cinq continents. En effet, durant de longues années, elle a eu l’opportunité de travailler avec de nombreux artistes caribéens, européens, africains et américains, des concerts qui l’ont emmenée dans une vingtaine de pays. Depuis une dizaine d’années, elle vit en Guadeloupe où, sans faire de bruit, elle continue sa carrière de chanteuse et de conceptrice de projets artistiques.

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“J’ai toujours su que je serais artiste. D’une façon très “mystique”, je savais que je faisais partie de ce monde-là, ce n’était pas une surprise”.

Elle porte un prénom plutôt rare, Xénia, et elle porte un nom de famille qui est celui de la région où elle vit, Caraïbe. Souvent, on lui a demandé quels étaient ses “vrais” prénom et nom car on croyait qu’il s’agissait en réalité d’un nom de scène. Ce nom de famille, elle l’a hérité de son père qui était le fils d’une Kalinago de l’île de la Dominique, immigrée en Guadeloupe. Xénia Caraïbe naît au Sénégal de parents guadeloupéens. Son père étant militaire, elle voyage beaucoup avec sa famille, dès son jeune âge (Sénégal, France, Guyane etc.). Son père étant également saxophoniste dans l’orchestre de l’armée, il décide d’inscrire ses enfants au Petit Conservatoire de Toulouse. “Mon frère et moi, nous y avons appris les rudiments du solfège, deux ans après, nous sommes retournés vivre au Sénégal puis à Marseille. Mais j’ai toujours fait partie d’une association de danse et de musique”, dit Xénia. Plus tard, son père obtient un contrat pour le Centrafrique, la jeune fille qui a décidé d’intégrer la Faculté de Droit de l’Université de Marseille ne suit pas ses parents sur le continent africain. “Mon père voulait que je passe le CAPA et que je devienne avocate. Mais j’ai très vite arrêté mes études de droit pour intégrer “Les Flamboyants” puis “Les Caraïbes” qui était un vrai groupe de musique dirigé par Monsieur Jacquelin. Sa femme et ses filles faisaient aussi partie de la formation et, pendant près de 5 ans, nous avons fait des concerts dans tout le sud de la France”, dit la chanteuse. Elle s’adapte vite à ce changement de vie qui lui semble même normal: “j’ai toujours su que je serais artiste. D’une façon très “mystique”, je savais que je faisais partie de ce monde-là, ce n’était pas une surprise. Certes, j’ai toujours aimé chanter mais je n’avais jamais eu de posters de chanteurs dans ma chambre, je n’ai jamais été une fan”, déclare-t-elle.

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“Beaucoup de gens ne le savent pas car ce n’est pas écrit sur la pochette mais j’ai fait les choeurs de l’album “Rêve Bleu” de Gilles Floro en 1986. J’ai aussi chanté sur des titres d’autres artistes guadeloupéens ou martiniquais”.

Roland Louis, une rencontre décisive

En 1981, Xénia Caraïbe pense qu’elle a déjà franchi un palier dans la vie artistique, elle trouve la région méditérranéenne trop restreinte alors elle décide de monter à Paris où vit déjà sa soeur. La jeune artiste fait plusieurs petits boulots (babysitting etc.) pour gagner sa vie mais, dès que l’occasion se présente, elle participe à des spectacles dans divers lieux comme les Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) où elle chante de la “variété française”, de la musique antillaise, souvent gratuitement. “Au fur et à mesure, ma voix plaisait, la musique plaisait. À cette époque-là à Paris, il y avait un énorme brassage musical à cause de la World Wusic. Dans un groupe, il y avait plusieurs nationalités mais chacun d’entre-nous avait son projet artistique”, se souvient-elle. Elle y rencontre Roland Louis, le grand pianiste, le chef d’orchestre, l’arrangeur des chansons de David Martial, entre autres artistes, qui dirige également les séances d’enregistrement en studio. “Il avait dû m’entendre chanter quelque part et il m’a dit qu’il avait besoin de voix”, dit Xénia. C’est ainsi que la chanteuse va faire les choeurs pour plusieurs artistes antillais et africains. “Beaucoup de gens ne le savent pas car ce n’est pas écrit sur la pochette mais j’ai fait les choeurs de l’album “Rêve Bleu” de Gilles Floro en 1986. J’ai aussi chanté sur des titres d’artistes guadeloupéens ou martiniquais comme Frédéric Caracas, Éric Brouta, José Versol, Freddy Marshall, Thimothey Hérelle etc; avec ce dernier, j’ai aussi fait des tournées. J’ai collaboré avec Lisette Malidor sur une lecture théâtrale. J’ai aussi chanté avec de très nombreux artistes et groupes africains”, dit-elle.

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“J’ai déjà chanté dans une dizaine de langues” – Xénia Caraïbe avec “Le Grand Orchestre de Rido Bayonne”

Chanter avec de nombreux grands artistes africains

En effet, cette liste d’artistes africains avec lesquels Xénia Caraïbe a collaboré est très longue. On y trouve par exemple : le musicien congolais (ex-zaïrois) très connu Sam Mangwana; le chanteur-guitariste congolais (ex-zaïrois) Maïka Munan et le groupe “Tabala”; la célèbre chanteuse congolaise (ex-zaïroise) Tshala Muana; la chanteuse et musicienne malienne Rokia Traoré avec laquelle la guadeloupéenne partira en tournée pendant deux ans en Europe, au Canada, au Japon, en Australie; le batteur ivoirien Tiacoh Sadia qui sortira le CD intitulé “Zougnon Wa” avec comme chanteuse principale, Xénia Caraïbe; le musicien camerounais Gino Sitson; le Togolais Allan Adoté avec qui Xénia s’est produite pendant trois ans à Eurodisneyland dans un spectacle intitulé “Allan Adoté and Soul Connection”; “Le Grand Orchestre de Rido Bayonne” que l’artiste guadeloupéenne ne considère pas comme un simple groupe mais surtout comme “la plus grande école de musique” qu’elle n’a jamais eue, car “Rido Bayonne qui est un grand monsieur maîtrise tous les styles musicaux”; le groupe “Nipa”, un sextuor de polyphonie africaine acappella composé de 3 garçons et de 3 filles originaires de la Côte d’Ivoire, des États-Unis, de la Martinique et de la Guadeloupe qui chante en quatre langues (ashanti, akan, abouré et twi) et qui fait des tournées pendant dix ans. “J’ai déjà chanté dans une dizaine de langues. Pour avoir travaillé pendant des années avec des artistes africains, ce ne sont pas les langues qui sont difficiles à retenir mais ce sont les rythmiques inhérents aux musiques”, déclare Xénia Caraïbe.

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“Ces stars ont des relations très simples avec les gens” – Xénia Caraïbe en tournée avec le chanteur hollandais, Dave.

La choriste des stars comme Dave, Nicoletta, Gloria Gaynor…

Outre les collaborations avec les artistes antillais et africains, la Guadeloupéenne a travaillé lors de concerts et d’émissions télévisées avec des stars européennes comme la chanteuse française Nicoletta, le chanteur français Jean-Louis Aubert, le chanteur néerlandais Dave. “Dave est un grand artiste qui a une immense connaissance du métier et du public. Il donne à ses fans ce qu’ils veulent d’où sa très longue carrière (…) Nicoletta m’a téléphoné personnellement. Elle m’avait rencontré dans “Le Grand Orchestre de Rido Bayonne”. Ces stars ont des relations très simples avec les gens”, dit-elle. Elle a aussi travaillé avec la chanteuse grecque Nana Mouskouri pour des émissions télévisées. “C’était des émissions présentées par Michel Drucker ou Patrick Sébastien, il fallait des “vrais” chanteurs car le public avait marre du play-back et voulait des chansons en live”, dit la chanteuse. Par ailleurs, Xénia Caraïbe a travaillé avec la chanteuse américaine Gloria Gaynor que l’on connaît davantage en France depuis que le titre “I will survive” qu’elle a interprété en 1978 est devenu l’hymne des footballeurs français après leur victoire à la Coupe du Monde de Football de 1998. “C’est une immense artiste, une grande professionnelle…qui sait dire “bonjour”. C’est Allan Adoté, le chef d’orchestre, qui m’a appelé pour intégrer la section voix à l’occasion d’un grand concert de Gloria Gaynor. Les producteurs avaient bâti une ville sous des tentes dans le désert pour ce festival en Tunisie”, raconte-t-elle. “Il faut dire aussi que, dans ce milieu, on travaille en réseau. Les maisons de production font souvent tourner plusieurs artistes en même temps. Automatiquement, un musicien peut parfois remplacer un autre. En outre, pour partir en tournée, être avec les mêmes personnes pendant des mois, il faut savoir vivre en groupe”, poursuit-elle.

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Xénia Caraïbe avec un maître de la biguine, Al Lirvat, à l’occasion de la réouverture du “Bal Nègre” en 2002.

La réouverture du “Bal Nègre” à Paris en 2002

Pendant des années, l’artiste sillonne le monde. En Europe, elle chante en France, Italie, Espagne, Suisse, Finlande, Belgique, Grande-Bretagne; en Afrique, elle se produit en Tunisie, au Sénégal, Burkina Fasso, Tchad; au Japon, elle s’arrête à Tokyo, Kyoto et Osaka; En Australie, elle fait entendre sa voix à Adélaïde, Melbourne et Sidney; aux États-Unis, les tournées la conduisent, entre autres, à New York, Boston, Seattle, Memphis, Washington, Chicago, Los Angeles; au Canada, elle va à Montréal, Vancouver et Harrison Hot Springs; dans la Caraïbe, elle ne connaît que la Guadeloupe et la Martinique mais elle compte bien se faire connaître dans d’autres îles.

Après avoir posé ses valises à Paris, en 2002, Xénia Caraïbe et le célèbre musicien Max Cornélie rouvrent en grande pompe la salle du “Bal Nègre” à Paris pour y organiser des spectacles. Ce lieu mythique où jouaient tous les grands artistes antillais de la biguine de l’entre-deux guerres et que fréquentaient Mistinguett, Joséphine Baker, Jean-Paul Sartre ou Albert Camus était fermé depuis des années. C’est un véritable événement dans la capitale française. Sont présents à cette ouverture, les “piliers de biguine” dont Moune de Rivel, Jenny Alpha et Al Lirvat. “Après une répétition pour un gala de musique tropicale, Max Cornélie et moi même avions décidé qu’il fallait donner un peu plus de noblesse à nos musiques surtout celles qui avaient fait les beaux jours du “Paris Noir” des années 1920 à 1960. Nous avions alors créé “Récitals de la Musique Caraïbe”, un projet qui nous a fait “atterrir” dans une salle à Choisy le Roi. C’est là que nous rencontrerons Jean-Pierre Meunier, le responsable de la “Collection musicale Caraïbe” aux Éditions Frémaux, qui nous aidera à ouvrir ce temple de la culture des années folles”, raconte Xénia. Pour des raisons juridiques, cette fameuse salle de spectacle ne garde pas son nom d’origine, il faut dire qu’avec les évolutions sociétales, le mot “nègre” est devenu très péjoratif. Le lieu qui a été rénové en 2017 s’appelle désormais “Le Bal Blomet”

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En 1988, Xénia Caraïbe a interprété “Santiman Mwen”, un titre en créole dans le film “L’Étudiante” de Claude Pinoteau avec Sophie Marceau.

Différentes expériences dans le cinéma

Au cours de sa carrière Xénia Caraïbe a également connu le monde du cinéma. En effet, en 1988, la chanteuse a interprété “Santiman Mwen”, un titre en créole dans le film “L’Étudiante” de Claude Pinoteau avec Sophie Marceau. C’est le producteur Pierre Aubert avec lequel elle avait déjà collaboré qui lui a offert l’opportunité de travailler avec le grand compositeur de musique de film, Vladimir Cosma. “L’audition fut rapide et concluante, je suis entrée en studio la semaine d’après”, dit-elle. Elle a également travaillé pour la série télévisée “Tous en Boîte” sur la chaîne française TF1, pour le film et la série télévisée “Jean Galmot, Aventurier” ainsi que pour le court-métrage intitulé “Il était une fois Sasha et Désiré” (2006) de la réalisatrice martiniquaise Cécile Vernant. L’artiste garde des souvenirs très précis de ces différentes expériences dans le 7e art: “Pour “Tous en Boîte” et “Jean Galmot, Aventurier”, il s’agissait surtout de prestation d’artistes, de journées de tournage avec les potes… Pour “Il était une fois Sasha et Désiré”, je devais apparaître dans mon propre rôle de chanteuse du célèbre lieu “Le Bal Nègre” que nous avions, mes camarades et moi, ré-ouvert en 2002, soit 40 ans après sa fermeture”. Par ailleurs, la bande originale du film “Il était une fois Sasha et Désiré” a été interprétée avec les musiciens Max Cornélie, (contrebasse) Gilbert Anasthase (chant), Roland Malmain,(clavier), Jean-Pierre Ismaël,(batterie) Ti-Marcel (saxo ténor), Daniel Misaine (violon) et Christian Jésophe (clarinette).

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“La transmission est l’une des sauvegardes de l’identité culturelle. La culture n’est pas une question mais une réponse”.

Un retour discret mais actif en Guadeloupe

En 2006, Xénia Caraïbe retourne définitivement au pays à la suite du décès de sa mère, l’année précédente. Elle qui a sillonné le monde et a chanté sur de très grandes scènes devant 20 000 personnes durant quinze ans aurait pu se sentir à l’étroit dans l’île mais elle s’habitue petit à petit à sa nouvelle vie de chanteuse “sédentaire”. Cependant, elle ne cesse jamais de chanter car elle n’attend pas que l’on vienne la chercher. Elle comprend vite que sa “notoriété” pourrait plutôt représenter ici un handicap pour elle. Alors, sans faire de bruit, entourée de musiciens professionnels sérieux, elle conçoit des projets de spectacles comme “Paris Biguine” ou “Kafé Jasmin” qu’elle présente à des propriétaires de restaurants etc. La qualité de ses représentations est maintenant reconnue et aujourd’hui, son agenda est rempli… “Le travail est le même sur les petites ou grandes scènes, seuls les moyens techniques et financiers changent. Il m’est arrivé effectivement de me produire devant 20 000 personnes mais je pense que la salle de 200, 100 ou 50 personnes est la plus délicate”, déclare l’artiste. En outre, depuis huit ans, Xénia Caraïbe est professeur de chant au Centre Culturel Sonis. Elle a également animé un atelier de chant au CROUS de Fouillole, pendant 4 ans. “La transmission est l’une des sauvegardes de l’identité culturelle. La culture n’est pas une question mais une réponse”, conclut l’artiste.