
Marylène Agat est connue pour ses oeuvres picturales mais beaucoup la connaissent aussi pour ses bijoux originaux. En effet, depuis près de vingt ans, l’artiste se rend dans les forêts de Guadeloupe afin de recueillir tout ce que Dame Nature laisse au sol (branches, écorces, feuilles, graines etc.) et sculpter des bijoux uniques qui rendent les femmes magnifiques. Son atelier est une vraie caverne d’Ali Baba, on y trouve des milliers de bijoux. Tous les samedis de juillet et d’août, la créatrice a décidé d’organiser une foire aux bijoux dans sa salle d’exposition située à Lasserre, Morne-à-l’Eau. Malgré l’onde tropicale qui traversait l’archipel, la première édition du samedi 02 juin a connu un vif succès.
Kariculture : Quand as-tu commencé à faire les bijoux?
Marylène Agat : Les bijoux sont nés pratiquement en même temps que la peinture, à quelques mois près.
Kariculture : Avant ou après la peinture?
M. A. : Après la peinture.
Kariculture : Comment as-tu décidé de devenir créatrice de bijoux?
M. A. : C’est un défi de mon mari. Quand il a vu que je “commençais” à être artiste, je regardais les arbres et je lui ai dit: “apprends-moi les arbres!” Lui, c’est quelqu’un des bois, qui est né à Morne-à-l’Eau… Donc, j’ai appris tous les arbres, je les connaissais tous par coeur. Quand j’allais dans les écoles, je demandais aux enfants: “quel arbre est-ce?” Je faisais une étude sur les arbres et, en faisant cette étude sur les arbres, je me suis rendue compte qu’on pouvait faire des bijoux avec ces arbres. Donc, mon mari m’a lancé ce défi: Je me souviens qu’il a trouvé une écorce d’un multipliant et il m’a dit : “ou awtis, fè on biten avè sa!” (tu es une artiste, fais quelque chose avec ça!). Et là, j’ai pensé aux boucles d’oreilles, j’ai pris mes ciseaux , j’ai découpé l’écorce du multipliant, je les ai mises à mes oreilles et lui ai dit : “qu’est-ce que t’en penses?” Il m’a dit : “wow!!!” Et là, c’était parti.
Kariculture : Comment fais-tu pour trouver tous tes matériaux?
M. A. : J’aime la forêt.
Kariculture : Tout ce que tu as ici vient de la forêt?
M. A. : Tout ce que j’ai ici, c’est du bois que je vais chercher, ce sont des écorces, des feuilles etc. Tout ce que j’ai ici, c’est la forêt qui me l’amène.
Kariculture : La forêt de Morne-à-l’Eau et d’ailleurs?
M. A. : Je vais à Morne-à-l’Eau, mais je vais plus loin aussi. Je vais sur la Basse-Terre, je vais très loin pour récolter des petites choses. Aujourd’hui, je vois que c’est la grande mode, tout le monde fait pareil mais avant, il y avait les Rastas qui faisaient des bijoux, ce sont des gens qui sont dans le “Zion”. Moi, je pense que j’ai été l’une des premières à en faire (après les Rastas), j’ai eu le culot de les “sortir dehors”, c’est-à-dire de donner de la valeur aux bijoux faits avec des feuilles, des branches car pour certaines personnes seuls les bijoux en or ont de la valeur… J’ai eu aussi des personnalités qui étaient très intéressées par ce que je faisais. Nous étions en 2004, en 2005.
Kariculture : Le premier bijou était avec un multipliant, et après que s’est-il passé?
M. A. : Le multipliant s’est multiplié.
Kariculture : Heureusement que c’était un multipliant! Tu avais bien choisi…(rires)
M. A. : Tous les samedis, j’étais dans la forêt, je ramassais tous les bois que je trouvais, toutes les branches qui traînaient par terre.
Kariculture : Tu faisais un nettoyage de la foret?
M. A. : Je faisais un nettoyage de la Guadeloupe. Je mettais tout cela derrière ma voiture et je rentrais. Je m’enfermais et je créais. Quand j’ai fait ma première manifestation à Morne-à-l’Eau – c’était à l’occasion de la première édition de la Fête du Crabe – j’ai présenté mon travail, les gens sont “tombés”, je n’ai jamais vendu autant de bijoux ; c’était des petites boucles à 12 euros, les gens en achetaient 4, 5, 6 paires, ma table était vide. J’ai regardé mon mari et je lui ai dit…
Kariculture : J’aurais dû faire créatrice de bijoux!
M. A. : C’est exactement cela. L’année suivante, j’ai refait une présentation comme celle-ci et je suis partie en Martinique avec pour participer à la Biennale du Marin, j’ai vendu tous mes bijoux… Un jour, ma soeur m’a appelé et m’a dit: “Marylène, tous les morceaux de bois que les gens voient par terre maintenant, ils les ramassent”. Donc, le truc a été compris. J’ai encore des petits secrets que je ne fais plus mais que je remettrai en avant. Je les garde pour le moment.
Kariculture : Les gens ont compris les richesses que l’on avait, leur as-tu donné l’envie de créer?
M. A. : On a tellement de choses autour de nous qui ont une importance et les gens ne savent pas combien ils sont riches. Maintenant, il y a des gens qui commencent à se lancer mais malheureusement, il n’y a plus de création, il y a de la copie et le problème est que dans une foire, on a le même travail. Pendant des mois, je faisais des bijoux, j’allais dans toutes les manifestations, je regardais tout ce que les gens faisaient, je me nourrissais un petit peu des autres (me nourrir pas copier), je m’inspirais.
Kariculture : Et cela fait des années que cela dure…
M. A. : Cela fait des années… C’est alimentaire. Mais, je suis dans la création, jusqu’à aujourd’hui.
Kariculture : Maintenant, chez toi, tu as un espace réservé pour tes bijoux et il y a des gens qui viennent te voir.
M. A. : Il y a des gens qui viennent me voir depuis leurs premières boucles d’oreilles jusqu’à maintenant, ils ne m’ont jamais lâchée. Il y en a qui me disent: “vous avez vu, Madame Agat?”. Et je leur réponds: “Mon Dieu, c’est vieux, des boucles qui datent de 8 ou 9 ans”. Les gens choisissent ce qu’ils veulent…
Kariculture : Y a t-il des gens (des femmes) qui t’appellent et te disent: “j’ai tel vêtement de telle couleur, pourriez-vous me faire des bijoux assortis?”
M. A. : Exactement. Il y a des gens qui viennent avec leurs vêtements et me disent: “Marylène, est-ce que l’on va trouver quelque chose qui aille avec?”. Si on ne trouve pas, je crée. Marilyne Dahomay est venue avec une très belle robe pour un concert et elle m’a demandé de faire un collier qui lui tombe jusqu’aux genoux, je lui ai dit pas de problème et j’ai conçu un beau collier, c’est une femme qui est très classe… À chaque fois, c’est un défi. J’ai aussi beaucoup de clientes de Paris en juillet et août. Donc, j’ai décidé que tous les samedis pendant les mois de juillet et d’août, il y aura des soldes de bijoux dans ma salle d’exposition. C’est une manifestation que je ferai désormais chaque année.
Par ailleurs, je travaille avec une galerie à Paris, qui a quelques-unes de mes toiles, qui me met sur le marché international, je touche une autre facette de l’art. C’est une dame qui nous donne confiance, et qui nous dit : “avancez, avancez, votre art est très beau, vous pouvez faire telle chose”.
Kariculture : As-tu plus confiance en toi, en tes capacités?
M. A. : J’ai pris conscience et confiance en mes possibilités. Il y a aussi cette autre dame qui connait l’histoire de l’art, qui travaille avec des grands maîtres et qui apprécie mon travail (…)
Kariculture : C’est une autre clientèle…
M. A. : C’est une autre clientèle.