
Après avoir été mannequin, employée de restaurant, fabricante de bijoux artisanaux et de sacs, la Martiniquaise Marylène Agat a décidé de se consacrer pleinement à la peinture. Tous les deux ans, cette artiste-peintre autodidacte qui a commencé à peindre à l’âge de 40 ans montre ses tableaux au public lors d’une exposition. Elle a accordé une longue interview à KARICULTURE.NET pour parler de son parcours.
KARICULTURE.NET : Depuis quand peignez-vous? Comment en êtes-vous arrivée à la peinture, aux arts plastiques ?
Marylène Agat : Je crois que depuis petite, j’avais la fibre artistique mais j’ai décidé de peindre après le décès de ma mère. J’avais 40 ans, je vivais en France hexagonale, mon mari avait perdu son travail et nous avons décidé de revenir aux Antilles. Suite à ce deuil, mon mari étant Guadeloupéen, nous nous sommes installés en Guadeloupe, j’ai trouvé rapidement un emploi dans la restauration à Pointe-à-Pitre. J’allais voir toutes les expositions de peinture qui avaient lieu dans la ville et j’ai fait la connaissance d’artistes peintres comme Joël Nankin, Nikki Élisé ou encore Thierry Lima… Je me suis nourrie de toutes ces expositions que je voyais et j’ai commencé à peindre en utilisant la pastel. De nombreuses personnes m’ont dit de me lancer dans cette voie artistique. En même temps, je créais des bijoux artisanaux que j’allais vendre sur les marchés.
À cette occasion, une connaissance m’a dirigé vers l’artiste-peintre Alain Caprice qui m’a parrainé, en 2006, lors de ma première exposition intitulée “Entre Ciel et Terre”.
Je me suis dis que j’avais un choix professionnel à faire. En 2007, j’ai démissionné du restaurant où je travaillais pour devenir artiste-peintre à temps plein. La vente de mes bijoux m’a permis d’acheter le matériel, mon mari qui m’a toujours soutenue m’a aménagé un atelier à côté de notre maison. Je ne regrette pas mon choix.
KARICULTURE.NET : Pourquoi associez-vous l’expression “Homme de Lumière” à votre nom?
M. A. : Le dessin de ce petit homme est apparu, un jour, dans l’un de mes tableaux. Je l’avais peint sans m’en rendre compte. Je l’ai appelé “Homme de Lumière” et il est intégré dans chacune de mes toiles. “Homme de Lumière” est aussi devenu mon nom d’artiste. J’écris “Homme” avec un grand “H” car il s’agit de l’être humain qui apporte de la lumière à l’Humanité.
KARICULTURE.NET : À quel moment vous installez-vous devant votre chevalet?
M. A. : Je n’ai pas de moment précis pour peindre. Je me réveille très tôt alors je peux être dans mon atelier dès 7 heures du matin pour travailler. Le soir, je peux aussi travailler pendant deux à trois heures à partir de 21 heures. Je peins selon mon humeur.
KARICULTURE.NET : Vous vous inspirez de l’actualité, de l’histoire pour réaliser vos tableaux, pensez-vous que l’artiste-peintre doit être un témoin, un militant dans la société?
M. A. : Je suis une peintre engagée, mon pinceau est une arme. Je traduis tous les problèmes sur ma toile.
Je m’inspire du comportement de l’être humain, des aléas de la vie, de la nature. Je m’interroge beaucoup sur les personnes et sur leurs problèmes. Je m’interroge sur moi-même, je crois au destin. J’ai fait une exposition sur les cases créoles car elles font partie de notre culture et on ne peut pas toutes les enlever. Auparavant, une seule petite pièce accueillait toute la famille, aujourd’hui les maisons sont grandes et il y a beaucoup de pièces vides. Quand j’ai parlé des croyances dans une autre exposition, je parlais de l’importance de la transmission du savoir oral dans notre société. J’ai aussi voulu sensibiliser sur le problème de violence qui sévit en Guadeloupe et ailleurs. C’est un thème difficile. J’ai entendu quelqu’un dire : “40 toiles sur la violence dans une exposition? Elle a un problème?!”
Il y a tant de choses à dénoncer ici qu’on n’est pas obligé de s’inspirer de ce qui se passe ailleurs. Je veux faire avancer notre société, montrer aux gens ce qu’ils ne veulent pas voir et ce qu’ils doivent corriger pour être meilleurs. Si chaque peintre met son grain de sel sur une toile, ce sera une façon d’avancer. Ma peinture est une belle arme qui ne tue pas.
KARICULTURE.NET : Vous vous définissez comme une artiste-plasticienne, quels sont vos matériaux préférés?
M. A. : J’utilise de la peinture acrylique, du sable, du ciment, de la ficelle et même du plastic, c’est une forme de recyclage. J’adore jouer avec les reliefs, pour moi, une toile en relief parle plus qu’une toile à plat… Les reliefs sont comme les tripes de la toile.
KARICULTURE.NET : À quelle fréquence organisez-vous vos expositions pour montrer votre travail? Que représente pour vous cette rencontre avec le public?
M. A. : Avant 2006, je peignais avec de la pastel, mes expositions étaient assez irrégulières. Ensuite, j’ai commencé à exposer tous les deux ans au mois de novembre qui est le mois du décès de ma mère ; j’avais l’impression qu’elle était à mes côtés pour m’encourager. Maintenant, j’expose en avril.
L’exposition est un moment de partage. Les gens viennent vers moi parce que mes tableaux leur parlent, parce que je transmets sur les toiles mon âme et le public le ressent. C’est important pour moi car le peintre est toujours à la recherche de créativité ; je me nourris de ces conversations. Les gens me racontent leurs histoires, je les écoute et je peux leur donner des conseils. Le peintre est parfois un médium et un prêtre.
KARICULTURE.NET : Vous dispensez des cours d’arts plastiques aux enfants des écoles. Quel est le sens de votre action? Détectez-vous chez ces élèves un don pour la peinture ou autre chose?
M. A. : J’ai travaillé dans presque tous les établissements scolaires de la Guadeloupe et j’ai rencontré des élèves qui sont doués pour la peinture.
En plus d’être un médium et un prêtre, le peintre est aussi un psychologue. J’ai aussi détecté des enfants qui avaient des problèmes. Je ne donne pas de couleur noire et blanche aux très jeunes enfants quand je fais des ateliers de peinture mais, un jour, une fillette de 5 ans a mélangé toutes les couleurs pour obtenir du noir et dessiner avec cette couleur. Il se trouve que ses parents avaient des problèmes qui l’affectaient…
Une autre fois, une adolescente de 15 ans a dessiné une très belle maison créole en couleur mais, quelques minutes plus tard, elle l’avait repeinte entièrement en noir. Elle m’a simplement dit qu’elle était en deuil car elle avait perdu son cousin. Plus tard, au cours de cet atelier alors que cette classe de 30 élèves discutait du thème de la violence devant une toile, cette même jeune fille a soudain pris la parole pour raconter son histoire : son cousin avait reçu une balle perdue dans la tête et s’était écroulé devant elle…
J’ai plusieurs exemples d’enfants qui sont en souffrance, malheureusement. La peinture est un détecteur des malaises de notre société.
KARICULTURE.NET : Votre prochaine exposition qui se déroulera du 7 au 30 avril à la Salle Rémi Nainsouta de Pointe-à-Pitre s’intitule “Imago”. Pourquoi ce titre? Quel message voulez-vous faire passer? Combien de toiles proposerez-vous au public?
M. A. : “Imago” c’est “Image” en latin. “Imago” a aussi une signification mortuaire, dans certaines civilisations on faisait un masque du visage de la personne décédée pour conserver une image d’elle. “Imago” c’est également un être qui t’entraîne dans son monde qui peut être bénéfique ou pas.
Ma prochaine exposition comptera 30 toiles. C’est moins que ce que je faisais auparavant. À mes débuts, j’exposais 75 toiles. Cela veut dire que mon travail devient plus précis.