Thierry Gillon nous emmène faire un “Voyage intemporel”

Du 06 au 26 avril, le Centre Culturel Rémy Nainsouta de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) reçoit l’exposition intitulée “Voyage intemporel” de Thierry Gillon alias “Pwofésè”. Le sculpteur guadeloupéen propose aux visiteurs et acheteurs de traverser l’histoire de notre île depuis l’arrivée des premiers Européens jusqu’à nos jours à travers 53 oeuvres dans différents bois locaux, en métal, en roche.

Thierry Gillon Pwofésè 39A

Cela faisait près de 4 longues années que le Centre Culturel Rémy Nainsouta de Pointe-à-Pitre n’avait pas accueilli une grande et belle exposition consacrée à la sculpture; la dernière était “Re…Naissance” proposée par le sculpteur guadeloupéen, Jacky Poulier, en juin-juillet 2015. Le moins que l’on puisse dire c’est que le sculpteur qui lui succède actuellement dans la salle Édouard Chartol a mis la barre très haute.

Il s’appelle Thierry Gillon alias “Pwofésè” (Professeur), il est né à Saint-Claude il y a 43 ans mais sa famille est originaire de Pointe-Noire, une commune de la Côte-sous-le-Vent de la Guadeloupe où il vit. L’artiste est un autodidacte qui pratique la sculpture depuis l’âge de 18 ans. Pendant des années, il a fait partie du collectif appelé “Kali Art” avec lequel il a participé à de nombreuses expositions collectives. Il y a quelques années, il a organisé sa première exposition individuelle au Jardin d’Eau à Goyave, en partenariat avec Orange Caraïbe.

“Voyage intemporel” que l’artiste a sous-titré “une introspection anthropologique et artistique” est la 2e exposition individuelle de l’artiste – mais la plus grande – qu’il propose du 06 au 26 avril. “C’est un voyage qui retrace 500 ans d’histoire de la Guadeloupe. Il part de l’arrivée des Européens sur une terre où vivaient des Amérindiens, en passant par le commerce triangulaire avec l’esclavage des Africains, la 2e Guerre Mondiale qu’on appelle “An tan Sorin”, pour arriver à nos jours”, explique-t-il. Cette exposition qui représente des années de travail se compose de 53 oeuvres de tailles diverses et l’artiste a rédigé lui-même une présentation pour chacune.

Thierry Gillon Pwofésè 19-1B

Des oeuvres pour découvrir l’histoire de la Guadeloupe…

Parmi ces sculptures, il y a une série “Chefs Calinagos” où Thierry Gillon nous apprend que son arrière-grand-mère était une amérindienne Kalinago: “c’est ma manière de faire allégeance aux grands chefs, d’apaiser leurs âmes, eux qui ont subi tant de violence et d’injustices”. Et “Pwofésè” nous raconte une partie de l’histoire de la Guadeloupe qui n’est pas enseignée à l’école : “Dans la région de Pointe-Noire, à Trou Caverne, les chefs kalinagos menaient une résistance farouche, ils faisaient des attaques par surprise et se cachaient dans les trous creusés dans le sol, ce qui les rendait invisibles aux yeux des Européens et c’est seulement à l’arrivée des premiers chiens qu’ils ont compris la supercherie. Ils eurent un funeste destin, en grande partie dynamités dans leurs trous (…)” ; une série “Rois Africa” à propos de laquelle l’artiste écrit : “cette oeuvre est le pansement et une façon de dire que l’on n’oublie pas l’allégeance qu’ont eu nos ancêtres à l’égard de leurs bons rois” et il s’interroge : “L’Afrique enrichit toutes les nations mais ne décolle pas, à qui la faute? (…) L’Afrique est-elle un problème qui n’a pas de solution?” ; “Vierge de Guadalupe” qui est une vierge noire que les Espagnols vénéraient, une “histoire qui emprunte des mystères et des vérités dissimulés”, une histoire qui est celle “d’Isis rapportée d’Égypte en Occident par les Grecs et les Maures (…)” ; “Puissance Noire” où le sculpteur écrit qu’il “rend hommage à la capacité de résistance et de résilience qu’ont eu les Africains déportés face à l’oppression subie” (…) ; “Corps et âme” qui est une interrogation à propos de l’existence et des souffrances infligées par la condition de vie des hommes et des femmes ; “Vodou mystique” qui est “le symbole de la compréhension, du respect de l’autre et de nous-mêmes” ;

Thierry Gillon Pwofésè 8C

… à travers la vie du sculpteur

“Vie économique” pour honorer “nos grands-parents qui travaillaient la terre et se sont sacrifiés pour payer de grandes études à leurs enfants pour développer ce pays (…)” et, de nos jours, ces derniers finissent leur vie dans des ÉPAD ; “Gran Anman” où l’artiste aborde la mort que nous avons beaucoup de mal à accepter et il conseille : “vivez chaque instant le plus intensément possible, profitez au maximum des personnes qui vous sont chères et donnez-leur le meilleur de vous-mêmes” ; “Dissident”“Pwofésè” rend hommage à son arrière-grand-père et à ses compagnons qui ont répondu à l’appel du Général de Gaulle et qui sont morts pour libérer la France du nazisme ; “Armageddon Syndrome chinois” inspirée de cette récente période de provocation entre le Président des États-Unis et le Président de la Corée du Nord et c’est, dit-il, le “symbole de la bêtise de l’homme contemporain qui menace son écosystème pour affirmer sa toute-puissance” ; “Mass Gwada” où les masques représentent le bouillon de culture populaire guadeloupéenne ; Thierry Gillon dit : “j’ai voulu montrer le fait qu’il ne restait plus grand chose de la culture africaine en Guadeloupe par conséquent, on s’identifie plus à la culture américaine ou à celle des autres; il serait temps de faire tomber les masques qui nous empêchent de mieux voir” ; “Tanbouyé mawon” qu’il voit comme le “gardien de la pratique musicale africaine en Guadeloupe” ; “Bèt a Man Ibè”, cette créature nocturne terrifiante etc.

Thierry Gillon s’inspire de notre histoire, nos us et coutumes ou de l’actualité et il a 3 modes de création : “premièrement, il y a l’appel de la matière c’est-à-dire que je la regarde et je vois déjà l’oeuvre qui en ressortira. C’est comme si je devais simplement enlever l’excédent. Je crois que c’est là que sortent les meilleures oeuvres. Deuxièmement, je regarde la matière et je vois des choses qui y apparaissent. Troisièmement, je parle aux ancêtres et je leur demande de m’aider à emmener, à créer quelque chose dans le monde où je suis”, explique-t-il.

Thierry Gillon Pwofésè 24-1D

Des oeuvres dans plusieurs bois locaux

L’artiste affirme également qu’il fait beaucoup appel aux mathématiques et à la physique pour créer ses oeuvres. “Tout est question de mathématiques pour trouver la symétrie, l’axe d’un visage, par exemple. C’est aussi la physique car il y a un sens pour prendre la matière, par exemple pour ne pas casser les fibres du bois”, dit-il.

Concernant les matériaux utilisés par le sculpteur, il y a le fer, le béton, les galets de rivière et de mer et aussi le bois. La plupart des oeuvres présentées dans l’exposition “Voyage intemporel” sont en bois du pays. On peut citer le “tendracayou”, le galba, l’acajou, le bois de fer, l’acacia, le “lépini” le bois de rose, le bois de résolu (peu connu aujourd’hui mais qui était utilisé auparavant pour construire l’extérieur des maisons en Guadeloupe car imputrescible). Thierry Gillon dit qu’il ne coupe les arbres dans la forêt, il a un réseau d’amis qui lui apporte ces tronçons de bois chez lui. “Ce qui m’attire, c’est la noblesse du matériau. J’aimerais faire maintenant plus de sculptures en pierre”, confie-t-il.

À travers cette exposition de sculpture, l’artiste affirme qu’il essaye de “montrer ce qu’il y a de bon dans l’humain, c’est comme une thérapie pour la population. J’essaye de vivre en harmonie avec la nature. J’aime ce que les anciens ont laissé mais on perd ce que les Kalinagos et les Africains nous ont laissé à cause du développement. On est devenu comme des Européens et on réagit comme des Européens, nos jeunes sont perdus (…) C’est vrai qu’on apprend à lire, à écrire et réfléchir dans la culture française, on se forme mais on ne doit pas se formater”.

Thierry Gillon Pwofésè 27E

Une grande soif de connaissances

Thierry Gillon porte un surnom qui n’est pas dénué de sens : “Un ami m’avait d’abord surnommé “Fingers” (doigts, en anglais) puis, il m’a dit que “Pwofésè” (Professeur) conviendrait mieux car je m’intéresse à tout, j’achète des livres, aujourd’hui, il y a internet. En fait, j’ai une grande envie d’apprendre des choses sur la nature, les plantes, la construction, la voiture, l’électricité, la plomberie etc. J’ai dessiné les plans de ma maison, je l’ai construite et j’y ai installé l’électricité solaire d’après mon invention. Mon père qui est électricien se demandait si tout cela fonctionnerait”, raconte l’artiste qui a obtenu son BEP en équipement technique au Lycée professionnel du Lamentin et qui a effectué plusieurs formations comme accompagnateur en moyenne montagne ou animateur touristique dans le milieu rural. “Cette formation consiste à mettre en valeur le patrimoine rural et elle m’a permis de mieux connaître les plantes et d’apprendre par coeur le nom de toutes les orchidées de la Guadeloupe”, déclare “Pwofésè”. Toutes ses connaissances lui serviront dans le futur car Thierry Gillon possède un parc paysager de 1 hectare où il pense d’ailleurs installer des sculptures monumentales. Sa mère qui, dès le départ, a toujours encouragé sa vocation artistique, a assisté le vendredi 5 avril dernier au vernissage de l’exposition “Voyage intemporel” au cours duquel l’artiste a interprété une chanson (un autre de ses talents) ; son père qui peut-être craignait pour son avenir professionnel reconnaît aujourd’hui que ce qu’il fait de ses mains est “de haut niveau” et “puissant”.

C’est certainement ce que pensent aussi toutes les personnes qui voient ses oeuvres sur des galeries virtuelles ou sur sa page Facebook et qui le contactent pour l’inviter à participer à leurs expositions en France hexagonale, Angleterre, Belgique, Italie ou en Afrique. L’invitation qui l’a le plus marqué est celle du célèbre sculpteur sénégalais, Ousmane Sow (1935-2016). “Il ne m’avait jamais rencontré mais il avait vu mes oeuvres sur internet et il m’a invité à participer à une exposition, il payait une partie du billet d’avion etc. C’était deux mois avant sa mort. Je ne pouvais pas y aller. Et puis, j’ai entendu son décès à la radio, il s’est passé quelque chose et je me suis mise à sculpter deux oeuvres que j’expose ici pour lui rendre hommage (…)”, raconte l’artiste qui est convaincu qu’Ousmane Sow voulait lui transmettre un message.

Dans les prochains jours, plusieurs écoles de l’île situées notamment à Petit-Canal, Sainte-Rose et Pointe-à-Pitre viendront visiter cette grande exposition de sculpture. Thierry Gillon “Pwofésè” les attend avec impatience, il sera d’ailleurs présent au Centre Culturel Rémy Nainsouta pendant toute la durée de son exposition afin de recevoir le public.