Marylène Agat « Homme de Lumière » ou la lente naissance d’une artiste peintre martiniquaise (2ème partie)

Marylène Agat - Photo: Évelyne Chaville

Née en 1962 à Paris et installée en Guadeloupe depuis 22 ans, Marylène Agat « Homme de Lumière » est devenue peintre professionnelle en 2005, à l’âge de 43 ans. En dix-sept années de carrière, elle a déjà réalisé près d’une dizaine d’expositions sur des thèmes variés. Kariculture vous propose de mieux faire connaissance avec cette créatrice.

 

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S’imprégner de la vie artistique

Au pays, le compagnon de Marylène retrouve du travail rapidement, elle est embauchée deux mois après son arrivée à Délifrance sur la Place de la Victoire à Pointe-à-Pitre. Même si la jeune femme a déjà vécu dans l’île pendant quatre ans, elle déclare avoir eu du mal à oublier le rythme effréné du « métro-boulot-dodo parisien » et à s’adapter à sa nouvelle vie sous les tropiques. Dans son nouvel emploi, à la demande de sa responsable, la route de la future artiste commence à s’ouvrir car elle fera des petits dessins qui seront encadrés par l’entreprise pour décorer l’espace. «Puis, ce sont les gens de la banque d’à côté qui ont eu mes petits dessins. Au fur et à mesure, je dessinais des petites choses que je vendais dans ma famille et ailleurs. Après, il y a eu une fresque sur la place de la Victoire et on connaissait mon nom. Un jour, une dame m’a demandé ce que je faisais à Délifrance et elle m’a dit que je devais exploiter mes dessins. Je n’étais pas sûre de moi car les gens vous donnent des conseils mais il faut de l’argent pour vivre », déclare-t-elle.

Les visites d’expositions au Centre des Arts et de la Culture ainsi qu’au Centre culturel Rémy Nainsouta de Pointe-à-Pitre devient un des passe-temps préférés de la jeune Martiniquaise. En effet, dès qu’elle sort du travail, elle se précipite dans l’une de ces salles pour regarder les œuvres des peintres en vogue (Michel Rovelas, Chadru etc.) et elle reste discuter avec eux pendant une ou deux heures comme pour s’imprégner de la vie de ce monde artistique. «Ensuite, je prenais mon bus et je rentrais chez moi. J’allais dans mon petit atelier et je continuais à dessiner. J’ai fait cela pendant 3 ans », se souvient-elle.

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Marylène Agat et Alain Caprice

Alain Caprice, l’inoubliable maître

Un jour, la jeune femme fait la connaissance de Monsieur J. qui lui dit qu’il lui présentera un peintre « pour aller plus loin ». Elle a déjà entendu parler de ce peintre mais elle ne touche pas encore à la peinture. Elle réalise donc 3 toiles pour les présenter au peintre en question en compagnie de Monsieur J. « C’était  Monsieur Alain Caprice. Il les a regardées avec sa femme Isabelle et a déclaré : « Elle a une sensibilité. Il y a quelque chose à faire ». Le mot « sensibilité » m’a touché. Jétais aux anges après les paroles dAlain Caprice. Je suis rentrée chez moi avec un grand sourire car dans ma tête, je commençais, cétait le point de départ. Je n’avais pas encore compris qui jétais mais je savais qu’il fallait que je rentre par là. Le fait qu’il m’ait dit cela, je me suis dit : « Lance-toi, fais des toiles! », raconte Marylène Agat.

Le lendemain de cette rencontre décisive pour sa carrière d’artiste peintre, celle-ci achète du matériel et comme elle ne veut pas faire les choses à moitié, elle fabrique ses toiles vierges aux dimensions qu’elle souhaite. Nous sommes en 2004 et c’est le point de départ de la première exposition de l’artiste peintre autodidacte Marylène Agat qui s’appelera « Entre Ciel et Terre ».

« Il n’y a pas eu de cours de peinture, Alain Caprice m’a simplement dit : « Marylène, prends tes pinceaux, fais ce dont tu as envie et appelle-moi dès que tu te sens capable de me monter ce que tu as fait ». C’était une forme de thérapie. Alain est venu après 4 mois, j’avais déjà peint une dizaine de toiles. Cette première exposition avait 60 tableaux. J’ai pris 8 mois pour faire les 50 autres tableaux. Mais Alain est venu entre-temps parce qu’il fallait qu’il voie ; Isabelle était mon agent », se souvient-elle.

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Marylène Agat et Alain Caprice

Une première exposition à succès

Le Centre culturel Rémy Nainsouta accueille ce travail en 2005. À l’occasion de ce grand jour, Marylène Agat tient à décorer elle-même la salle et à accrocher les tableaux. Son mentor Alain Caprice arrive, il est fier de sa protégée. Il s’est occupé de la communication et a invité tout son monde, de son côté, Marylène a invité ses anciens collègues de Délifrance : « Alain m’avait pris sous son aile donc il prenait un risque. Ce vernissage sest très bien passé, il y avait des personnalités dont lancien maire de Pointe-à-Pitre Henri Bangou, la chorégraphe Léna Blou etc. J’étais toute émerveillée, j’étais dans un enchantement, j’étais en train de vivre, j’avais l’impression que cétait un rêve. Pendant un mois, la durée de l’expo, Alain me présentait des artistes, son monde, j’étais aux anges », raconte l’artiste peintre Marylène Agat «Homme de Lumière ».

Sa récente renommée lui permet également de rencontrer un membre de sa famille qui vit en Guadeloupe. Il s’agit de Lucien Degras (agronome, généticien, ethnobotaniste, écrivain et grand défenseur du jardin créole). « Il m’a dit qu’il était le frère de mon grand-père et quil connaissait très bien les trois soeurs Degras, dont ma mère », se souvient l’artiste.

Alain Caprice apprend que sa protégée rédige aussi des petits textes. D’ailleurs, elle lui demande toujours de lui lire ses écrits : « Il prenait un plaisir à le faire et comme il avait une voix qui portait, c’était un plaisir de l’entendre. Un jour, jai écrit un texte intitulé « An tan lontan, jodi jou rivé », sur la modernisation. Alain en est tombé amoureux et il l’a changé à plusieurs reprises, je lui ai dit que ce texte n’était plus à moi mais à lui. À chaque fois qu’il venait à mes vernissages, il lisait ce texte», raconte la peintre.

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Un papillon prend son envol

En 2007, lors de sa deuxième exposition intitulée « Kaz an Nou », Marylène Agat expose également des bijoux qu’elle fabrique avec des branches, des écorces, des feuilles, des graines, entre autres, qu’elle ramasse dans la forêt de Guadeloupe. Alain Caprice est présent au vernissage et il lit une nouvelle version du texte « An tan lontan, jodi jou rivé » qu’il a rédigée…

Cette même année, comme en 2006, le Festival de Jazz de Pointe-à-Pitre sollicite « Homme de Lumière » pour faire partie des plasticiens qui peignent durant ce grand événement artistique.

En 2008, en Guadeloupe et en 2009, en Martinique, les tableaux de Marylène Agat feront partie des 300 oeuvres d’artistes des deux îles qui participeront à deux grandes ventes aux enchères publiques d’œuvres d’art contemporain organisées par l’association Karribe Arts.

Pendant cinq ans, Alain Caprice, le célèbre peintre martiniquais, suit le travail de Marylène Agat. Mais, en 2009, à la suite d’une exposition en Martinique qui se passe très mal à cause d’une incompréhension, même si elle vend des toiles, la jeune femme décide de prendre son envol mais elle continue à exposer au Centre culturel Rémy Nainsouta qu’elle trouve « magique » et elle apprend que ce lieu est un ancien hôpital. Cela lui rappelle la longue maladie de sa mère…

Après 2009, Marylène ne manque pas d’inviter Alain Caprice lors de ses expositions et il vient. De son côté, elle se rend à toutes les expositions du peintre martiniquais. « Je le respectais. Il me manque. La dernière fois qu’Alain est venu voir mon travail à la maison, c’était pour l’exposition « Volé, Papiyon volé » (2015). J’avais fini mes tableaux et je l’ai appelé pour qu’il puisse les voir. En rentrant dans mon salon, il était en larmes et il m’a embrassé. En regardant « Les Âmes du Tronc », une toile sur l’esclavage, il m’a dit: « regarde la finesse de ce tableau, on y est arrivé. Chapeau ! Bravo Marylène ! ». Lors du vernissage, il a encore repris le texte « An tan lontan, jodi jou rivé » et j’ai senti quil était en train de nous quitter », se souvient-elle.

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Covid, Corps Vide ou Cô Vid

En avril 2017, Marylène Agat présente l’exposition « Imago » et son mentor ne rate pas cette occasion pour venir admirer sa production et lire ce fameux texte qu’il a encore changé et adapté aux nouvelles oeuvres.

Quelques mois plus tard, en décembre, kariculture rencontre le plasticien martiniquais à l’occasion de sa dernière exposition intitulée  « Partage » au Centre culturel Rémy Nainsouta, un article que nous publions le 26 décembre 2017. Le 26 décembre 2019, Alain Phoébé Caprice décède en Guadeloupe, une île où il a presque toujours vécu, à l’âge de 75 ans.

Son « élève » Marylène Agat « Homme de Lumière » poursuit sa route et, en avril 2020, tout est prêt pour qu’elle présente au public dans sa salle fétiche – le Centre culturel Rémy Nainsouta – sa nouvelle exposition baptisée “Élementaire” (la suite de « Imago »), un travail auquel elle a associé le Saint-Martinois Georges Cox. Malheureusement, la pandémie de Covid-19 s’abat sur le monde et l’archipel guadeloupéen, terre française, est placé en confinement total pendant près de deux mois à partir du 17 mars 2020. L’exposition ne peut avoir lieu physiquement, elle devient virtuelle.

Auparavant, en janvier 2020, Marylène est tombée malade ; son compagnon et elle ont passé les fêtes de fin d’année en Martinique. Même si l’artiste n’a jamais fait de test, elle affirme qu’elle a attrapé le Covid-19 lors de leurs sorties dans l’île sœur.

« Pendant ces deux dernières années, j’ai profité pour faire une remise en question, améliorer mon travail. J’avais envie de parler de cet enfermement. L’être humain oublie très vite. On a eu plus de 1 000 morts. Je me suis posé des questions sur cet enfermement, je me suis renseignée sur cette maladie et j’ai eu les réponses avec mes 15 toiles, lors de mon expo « Cô Vid ». De fin 2020 à fin 2021,  j’ai pris mes pinceaux », explique, aujourd’hui, Marylène Agat.

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Renaissance

Dix-sept ans après sa première exposition à la salle Édouard Chartol au Centre culturel Rémy Nainsouta à Pointe-à-Pitre qui était devenue sa salle préférée, l’artiste décide – avec l’aide précieuse de son compagnon – de construire son propre espace près de son domicile à Lasserre, Morne-à-l’Eau, et elle l’inaugure lors du vernissage de « Cô Vid », le 23 avril 2022.  « Je my sens bien. Si on veut voir du Agat, si on apprécie du Agat, on se déplacera pour voir du Agat. Pour l’amour de l’art, on se déplace. J’ai beaucoup de projets pour cette salle comme des conférences et des expositions pour mes élèves », confie-t-elle.

En effet, l’artiste dispense des cours d’arts plastiques et d’art-thérapie à des enfants, toute l’année, le samedi et le mercredi, depuis une dizaine d’années.

En cette fin d’année 2022, où le monde entier semble vouloir se remettre de cette terrible crise sanitaire, un vent de renaissance souffle sur les créations de Marylène Agat «Homme de Lumière ». Les journées portes ouvertes organisées dans son atelier de bijoux ayant été un vif succès, la créatrice fera de nouvelles collections de bijoux en se laissant guider plus loin par son inspiration pour davantage magnifier ses client(e)s…

En outre, l’artiste qui vient d’être grand-mère pour la troisième fois a l’intention de peindre encore pendant des années mais, depuis cette nouvelle naissance, quelque chose au fond d’elle lui conseille de réaliser des œuvres avec des couleurs plus gaies, plus chatoyantes…