Marylène Agat « Homme de Lumière » ou la lente naissance d’une artiste peintre martiniquaise (1ère partie)

Marylène Agat

Née en 1962 à Paris et installée en Guadeloupe depuis 22 ans, Marylène Agat « Homme de Lumière » est devenue peintre professionnelle en 2005, à l’âge de 43 ans. En dix-sept années de carrière, elle a déjà réalisé près d’une dizaine d’expositions sur des thèmes variés. Kariculture vous propose de mieux faire connaissance avec cette créatrice.

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Les parents de Marylène Agat sont de la Martinique. Dans les années 1970, son père qui est du Vauclin et sa mère, de Fort-de-France prennent la décision d’aller chercher dans l’Hexagone une meilleure vie pour leurs futurs enfants. Le couple débarque donc à Paris comme d’autres jeunes gens de l’Outre-Mer français, à cette époque.

C’est la période des Trente Glorieuses où la croissance économique est forte, le chômage de masse est inexistant et le pouvoir d’achat est réel. Trois enfants (2 filles et 1 garçon) voient le jour dont Marylène Agat qui est le premier enfant : “C’est une famille simple, papa travaille dans une usine et maman aide les enfants à la maison. Je suis née à Paris 12e en 1962”, dit-elle.

Mais la petite Parisienne va quitter la capitale pour la banlieue, quelques années plus tard. “Quelque temps après ma naissance, mes parents ont déménagé pour aller à Vitry-sur-Seine. J’ai eu une enfance dans la cité Bellevue. C’était la cité rouge et bleue. Il y avait beaucoup de délinquance, beaucoup d’étrangers, beaucoup d’Antillais, je devais avoir 9 ans ou 10 ans. Il y avait un bâtiment bleu, c’était là où il y avait les bonnes familles et un bâtiment rouge, c’était là où il y avait tous les voyous. Je tiens à le dire car mes enfants sont aussi nées dans une cité, on a l’impression que c’est nouveau alors que ce n’est pas nouveau”, raconte-t-elle.

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Les Antilles en peinture

La petite fille très timide aurait voulu se réfugier dans les études mais l’école n’est pas l’endroit qu’elle préfère le plus. “J’étais à fleur de peau, je pleurais pour un rien (…) J’étais déjà dans un monde que moi-même je ne comprenais pas, j’étais très susceptible ou sensible”, dit-elle. Un jour, à l’âge de 9 ans, Marylène rencontre l’art, grâce à son oncle, Paul Degras, le frère de sa mère, et elle en garde un souvenir très précis : “il avait l’habitude de venir à la maison, c’était un “petit” écrivain, il rédigeait des petits textes. Un jour, il m’a dit: “Marylène, sors-moi de la peinture avec un pinceau” et je l’ai vu me faire un paysage magnifique en l’espace de quelques secondes. J’ai vu des arbres, un palmier, c’était un endroit que je ne connaissais pas, il m’a fait voyager. J’ai pris cette feuille et je l’ai mise dans un classeur”.

Cette oeuvre provoque un premier déclic chez la fillette qui, à partir de ce jour-là, réalise regulièrement des dessins et les range comme des trésors dans ce fameux classeur jusqu’à l’âge de 11 ans. Mais, ces trois années de travail disparaissent dans l’inondation de l’appartement familial à cause d’un robinet laissé ouvert par une voisine. “Le classeur meurt”, dit-elle mais “c’était le deuil pour mes dessins mais pas pour la personne que j’étais car je continuais dans la fabrication, la création, contrairement à mon frère qui était dans les études et ma soeur qui était encore petite. Mes parents nous achetaient des bouquins dans les années 1970 et, à l’époque, un enfant savait jouer, créer, prendre une pelote de laine (…)”.

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Le mannequinat comme rêve

Les années passent mais l’adolescente ne parvient pas à se réconcilier avec l’école, elle s’ennuit en classe. “L’échec est total”, déclare-t-elle. Elle est orientée vers un BEP secrétariat puis, à l’âge de 18 ans, elle décide d’entrer dans la vie active car son père décède brutalement d’une crise cardiaque. La jeune fille fait des petits boulots dans la restauration mais elle est très attirée par la mode et le mannequinat. Il faut dire qu’elle ne passe pas inaperçue avec son 1,87m et elle a de l’allure grâce aux tenues qu’elle confectionne elle-même. “J’aimais m’habiller et je faisais tous mes vêtements. Des vêtements larges qui sont aujourd’hui à la mode, j’étais une avant-gardiste. J’utilisais des tissus africains, des tissus très fluides et j’en étais très fière”, se souvient-elle.

À cette période, elle rencontre le père de sa première fille qui est guadeloupéen, elle tombe enceinte et se marie. Après la naissance de son bébé en France hexagonale, elle suit cet homme par amour en Guadeloupe et elle découvre la Caraïbe pour la première fois. « Je n’étais jamais venue aux Antilles, payer un billet, à cette époque, c’était très cher. On n’avait jamais connu la famille martiniquaise même si des oncles nous rendaient visite en France. Quand j’ai grandi, j’ai commencé à connaître ma famille. Je savais que du côté de ma mère – les Degras – il y avait des écrivains, des musiciens», dit-elle.

Mais, c’est la déception sentimentale et la jeune maman décide de retourner en région parisienne, quatre ans après. “À 19 ans, je suis devenue maman mais mon enfant ne me barre pas la route, je voyage avec elle sans problème (…) Mes rêves sont là”, précise Marylène. La jeune femme participe à plusieurs défilés de mode dans le milieu antillais et continue à travailler dans la restauration.

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L’ambiance familiale en Martinique

En 1985, la jeune femme de 23 ans repart aux Antilles. Elle débarque en Martinique où elle ne connaît personne à part sa mère qui est repartie sur son île natale après le décès de son mari :“Jai découvert cette île avec grand plaisir. J’ai alors décidé de poursuivre mon rêve d’être mannequin. On m’a présenté un photographe et je lui ai dit que je voudrais un book pour me présenter sur Paris, il ma fait de superbes photos, jai fait  un défilé. Pendant 3 ans, je reste avec ma mère et la famille dans cette ambiance familiale que je ne connaissais pas du tout puis, je repars en France”.

Une deuxième fois, le rêve de devenir mannequin professionnel s’évanouit petit-à-petit car en présentant son book aux agences, on répond à Marylène que celui-ci est trop “fantaisiste”, “pas conforme” etc. N’ayant pas la somme de 5 000 F minimum pour faire un nouveau book, la jeune femme refait des défilés dans le milieu antillais.

“J’ai aussi défilé pendant 3 minutes dans une émission qui s’appelait “Aujourd’hui Madame”. Nous étions 3 ou 4 mannequins et nous avions été recrutées pour une célèbre mannequin de la Martinique qui participait à cette émission par l’intermédiaire d’une autre personne. J’ai connu des personnalités, comme le journaliste Alain Hannibal qui allait discrètement vérifier pour moi si c’était bien que j’aille défiler à tel ou tel endroit”, raconte-t-elle. Cependant, Marylène se rendra compte que le milieu du mannequinat est très “fermé” et qu’il est plutôt réservé à des jeunes femmes de type caucasien : “Dans les années 80, la femme noire n’était pas acceptée comme la femme blanche. Cela m’est arrivé dentrer dans une salle pour un défilé et après une heure d’attente qu’ on me dise : “on ne prend pas de femmes noires, désolé” (…) C’était une difficulté et j’ai baissé les bras mais j’ai gardé cette fibre artistique alors je m’habillais, je sortais, je rencontrais du beau monde”, dit-elle.

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Visiter les régions de France

Puis un jour, la jeune femme de 26 ans rencontre à une fête celui qui deviendra son actuel compagnon et le père de sa deuxième fille. Il est peintre en bâtiment, elle le trouve positif avec des qualités pour construire un foyer pour sa première fille, tous les deux ont des affinités et ils restent en contact. “On a attendu que la relation soit zen avant de s’installer ensemble. Mon compagnon travaillait et moi, j’étais toujours dans mes défilés et la restauration où j’arrivais à trouver des contrats plus stables et mes rêves de mannequinat sont partis un petit peu. En 1988, je tombe enceinte de ma deuxième fille, on n’est pas marié et je ne suis pas encore entrée dans le monde des artistes”, raconte-t-elle.

Le couple vit très bien dans une cité à Orly dans la banlieue parisienne. Marylène Agat se souvient d’avoir peint un arbre sur la porte de sa cuisine, poussée par l’inspiration : « mon compagnon m’a regardé et ma dit: « sa bèl! » (C’est beau). On était étonnés ».

L’une de leurs passions est le voyage à travers la France hexagonale. Alors, tous les samedis, dès 4h00 du matin, les sandwichs sont déjà prêts et tout ce petit monde est très content de partir en voiture pour visiter le Mont Saint-Michel, Lourdes etc. Le soir, les quatre « touristes » dorment sur une plage ou dans des petits hôtels pour apprécier le charme des magnifiques maisons comme en Bretagne. Malheureusement, les voyages s’arrêtent car le compagnon de Marylène apprend que son patron avec qui il travaille depuis plus d’une quinzaine d’années est condamné, il ne lui reste que six mois à vivre. Au même moment, Marylène apprend que sa mère est aussi condamnée. « Je suis partie d’abord en Martinique pour accompagner ma mère ensuite, je suis rentrée en France puis mon compagnon est parti seul pour préparer notre arrivée en Guadeloupe. Il  m’avait toujours dit que s’il perdait son travail, il retournerait en Guadeloupe », se souvient-elle.

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« Homme de Lumière », ange et pseudonyme

C’est au cours de cette année 2000 – une année qui a vu naître des prédictions et fabulations les plus folles – que naît dans l’imagination de Marylène Agat, qui n’a pas encore débuté sa carrière d’artiste peintre, ce petit « Homme de Lumière » qui deviendra son nom d’artiste, cinq ans plus tard et qui figure sur ses créations artistiques tel un ange gardien qui veille sur elle…

« J’étais très triste à cause du décès de ma mère, mon compagnon était en Guadeloupe. Ma deuxième fille m’a dit de lui dessiner un petit bonhomme. J’étais assise avec mes deux filles, j’ai pris une feuille et j’ai dessiné ce petit bonhomme. J’ai aussi dessiné une maison et tout ce que j’aurais voulu avoir. Le “déclenchement” a eu lieu à ce moment-là car, le lendemain, je suis allée chercher un bouquin sur le dessin. Tous les lundis, j’allais acheter un bouquin sur le dessin et je dessinais comme si quelque chose me conduisait jusqu’à ce je prenne mon envol », raconte-t-elle. L’artiste en herbe vend même ses petites « œuvres » à son entourage, au prix de 2F, 5F ou 10F. « J’ai encore des amis qui me disent aujourd’hui: « Marylène, j’ai encore ton oeuvre là! », dit-elle en riant.

Quelques années plus tard, Marylène la généreuse exposera à La Désirade et elle offrira à une jeune garçon défavorisé tous ses bouquins ainsi que tous ses dessins et peintures réalisés quand elle était jeune. « Il aimait le dessin mais il était très malheureux car il ne pouvait pas s’acheter des bouquins. Je ne sais pas ce qu’il est devenu », dit-elle.

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Morne-à-L’Eau, terre d’accueil

Nous sommes en 2000, six mois après le départ de son compagnon pour l’archipel guadeloupéen, Marylène et ses deux filles débarquent en Guadeloupe et commencent une nouvelle vie dans la commune de Morne-à-l’Eau. Le dépaysement est total, c’est la campagne, la cité devient un lointain souvenir.

“Je suis née et j’ai grandi dans une cité, mes enfants sont nées et ont grandi dans une cité, toutes les deux ont pleuré quand nous sommes partis parce qu’elles ne voulaient pas quitter leurs amis. Pour moi, c’était un soulagement car, je me suis dit : “on va enfin se séparer de cette histoire de cité”. La cité, c’est quelque chose de très special : on fait des enfants dans la cité, on se lie avec des gens de la cité, on se marie avec des amis de la cité et, en fait, on ne bouge pas, c’est un enfermement”, explique Marylène Agat.

À son arrivée en Grande-Terre, Marylène et sa famille sont hébergées chez la mère de son compagnon. Très rapidement, ce dernier qui possède un terrain commence à construire leur maison. Une année plus tard, ils emménagent même s’il manque des carreaux ou des fenêtres mais “on a notre indépendance”, dit Marylène. “Les enfants étaient bien ici, l’ambiance était bonne mais cela ne les a pas empêché de partir, quelques années plus tard. Toutes les deux sont reparties en France hexagonale quand elles avaient 26 ans alors qu’elles travaillaient, elles avaient leur voiture, leur autonomie, leur appartement ici en Guadeloupe. Elles sont très exigeantes et elles voulaient évoluer professionnellement”, ajoute-t-elle.