Marie-José Mauranyapin “Thykaï” : artiste pluridisciplinaire et anthropologue

Pour les plus âgés d’entre nous, Marie-José Mauranyapin n’est pas une inconnue car elle était speakrine à RFO, il y a des années, à l’époque où des visages agréables présentaient les programmes télévisés. Celle qui est une artiste connue sous le nom de Thykaï est devenue anthropologue en Inde, un pays où elle a séjourné pendant 25 ans. Lors de la 10e édition de la Pool Art Fair Guadeloupe qui a eu lieu du 14 au 16 juin dernier, nous l’avons rencontrée, elle occupait un stand sponsorisé par Lékouz, une nouvelle bière locale, avec deux amis artistes, Bruno Métura et Rudy-Marc Roquelaure.

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Lors du plus grand salon d’art de la Guadeloupe, Marie-José Mauranyapin plus connue sous le nom de Thykaï présentait une série de sculptures intitulée “Shapes in Love” faite entre autres avec du mahogany, des feuilles d’or et des bas-reliefs en grès blanc ainsi qu’une impressionnante sculpture appelée “Mystiques Interrogations” en argile de Guadeloupe. La sculptrice guadeloupéenne n’est pas une inconnue dans le milieu local de l’art même si elle est restée loin de son île pendant un très long moment. En effet, elle montre son travail au public depuis plus d’une trentaine d’années déjà. Il faut savoir que Thykaï a commencé à fréquenter des ateliers d’artistes dès l’âge de 6 ans et elle poursuivra sa formation jusqu’à 21 ans. À cette époque ses parents, originaires de la Guadeloupe, s’étaient installés en France hexagonale ; son père qui était un militaire de carrière partait souvent en mission, son épouse et ses enfants restaient dans la maison familiale située près de la ville de Nancy.

Ces longues années d’apprentissage expliquent aujourd’hui pourquoi elle maîtrise parfaitement plusieurs disciplines artistiques notamment la peinture et la sculpture. “Depuis toute petite, on m’a mis des bâtons dans les roues. J’étais “habitée” artistiquement et je gagnais tous les concours même quand il y avait des adultes. J’étais dans une école où les enseignants n’aimaient pas les étrangers alors j’étais souvent au fond de la classe et j’ai subi un sévère traumatisme. Jusqu’à l’âge de 9 ans, pas un mot ne sortait de ma bouche. Je remercie cette enseignante que j’avais à l’époque car, à cause d’elle, j’ai dû consulter plusieurs psychologues et finalement, j’ai intégré l’atelier de Roland Grünberg qui était un élève de Salvador Dali et un ami de Jean Cocteau et qui s’occupait d’enfants à problèmes comme moi qui n’étaient pas conformes aux normes. Là-bas, j’ai pu découvrir plusieurs techniques artistiques”, raconte Thykaï.

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Une anthropologue en Asie

À l’âge de 21 ans, la jeune femme est arrivée en Guadeloupe. Elle étudiait l’administration mais l’école ne la passionnait pas et, en même temps elle vendait des paréos sur la plage pour gagner un peu d’argent. Elle a entendu parler d’un concours organisé par la télévision nationale RFO pour recruter une speakrine. “Je me suis présentée à la sélection des candidates surtout par curiosité, pour savoir comment la télé fonctionnait. J’ai eu de bonnes notes partout sauf en culture locale car je venais d’arriver au pays et que je devais encore découvrir beaucoup de choses mais j’ai été embauchée. Il faut dire aussi que la direction souhaitait que toutes les composantes ethniques de la Guadeloupe soient à l’antenne”, déclare l’artiste. Pendant quelques années, elle sera l’un des visages sympathiques qui annonçaient les programmes du petit écran.

Après cette “célébrité”, la jeune femme décidait d’entreprendre des recherches sur l’art dans le rituel. “Pendant 15 ans, j’ai envoyé mon projet au ministère de la culture dans plusieurs pays. Je n’étais pas une universitaire et cela explique pourquoi l’attente a été très longue. Un jour, l’Inde m’a répondu”, dit-elle. Coïncidence ou pas, Marie-José Mauranyapin qui était déjà passionnée par le pays de ses ancêtres se rendait sur le sous-continent, plus précisément à Pondichéry, cet ancien comptoir français d’où sont partis au 19e siècle des milliers d’Indiens désirant travailler en Guadeloupe. “J’ai crapahuté dans toute l’Inde, j’ai visité de nombreux sites et vu de nombreuses oeuvres en Asie. J’ai travaillé comme assistante d’Ulrich Nicklas, une professeure allemande, spécialiste de l’Inde du Sud. Je suis devenue anthropologue par mes compétences et j’ai donné des cours à des universitaires étrangers à Singapour”, raconte-t-elle.

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Une artiste aventureuse

Pendant ces 25 années passées en Asie, l’anthropologue est toujours restée en contact avec le monde de l’art. Après avoir organisé plusieurs expositions de ses oeuvres entre 1985 et 1994 notamment en Guadeloupe et à Saint-Martin, à partir de 1995, l’artiste qui se fait appeler “Thykaï” (nom en sanskrit signifiant “se transcender”, “se donner du courage”) effectuera plusieurs stages en Inde pour apprendre de nouvelles techniques artistiques. Par exemple, de 1995 à 1996, elle a suivi une formation en papier mâché ; de 1997 à 1999, elle s’est initiée à la poterie votive ; de 2000 à 2004, elle a découvert la reproduction d’artefacts en terracotta dédiés aux cultes populaires de l’Inde du Sud; de 2006 à 2019, elle a étudié et réalisé des “kolams” qui sont des dessins de bienvenue sur le sol de chaque maison en Inde du Sud…

Après le décès de sa grand-mère, il y a 8 ans, l’artiste a fait la navette entre l’Inde et la Guadeloupe. Elle organisait à cette même époque une exposition de ses oeuvres au Centre culturel Rémi Nainsouta à Pointe-à-Pitre. “Je suis le genre d’artistes qui ne se limite pas, je suis un électron libre, j’aime expérimenter. Je suis une artiste aventureuse. En peinture, j’utilise le pastel, l’huile, l’acrylique etc.”, déclare-t-elle. En octobre 2012, le documentaire “F Comme Diaspora” des réalisateurs Stéphanie et Steeve James qui la montrait dans son pays d’adoption, l’Inde, est présenté à l’Espace Régional du Raizet aux Abymes.

Puis, elle choisissait de rentrer définitivement dans son île. Malheureusement, Marie-José Mauranyapin ne peut pas partager ses connaissances en anthropologie sur le territoire français : “il faudrait que je fasse une validation des acquis de l’expérience (VAE) mais il n’y a personne capable de valider mes compétences dans le système français car personne n’a fait ces études (…)”, dit-elle. Elle a cependant eu l’occasion d’animer, entre autres, quelques ateliers pour l’Éducation Nationale.

Parallèlement, Thykaï qui reste une valeur sûre de l’art en Guadeloupe poursuit sa carrière artistique. L’an dernier, elle a participé à la 1ère édition de l’exposition Off Art & Design. Cette année, l’artiste a montré à la Pool Art Fair Guadeloupe ses talents de sculptrice pour le plus grand plaisir des amateurs de magnifiques oeuvres d’art…